Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia – Article 10 – Le design émotionnel

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Les émotions positives ont un effet sur diverses fonctions cognitives telles que le traitement de l’information, la communication, la prise de décision, la catégorisation, la résolution de problèmes et plus intéressant encore, la mémoire. L’on peut donc affirmer que l’émotion joue un rôle essentiel dans l’apprentissage.
 
Ce qui nous intéresse, dans cette série d’articles, c’est l’apprentissage multimédia. Et tout particulièrement dans la conception d’un e-learning, d’une vidéo pédagogique, etc. Historiquement, le rôle de l’émotion – dans cette théorie – fut mis en lumière la première fois par Roxana Moreno, qui proposa de revisiter la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia (CTML) pour la transformer en une théorie cognitivo-affective de l’apprentissage multimédia (CATML). Cette nouvelle théorie postule que les états affectifs et motivationnels à activation positive déclenchés par l’ajout d’éléments à connotation émotionnelles déclencheraient un traitement cognitif plus profond ; augmentant les ressources cognitives consacrées à la tâche. En d’autres termes, le fait d’ajouter des éléments dans votre e-learning dans le but de procurer des émotions (positives) chez votre apprenant est une solution afin de l’engager dans son apprentissage.
 
De cette théorie est issu le design dit « émotionnel » qui propose de concevoir un contenu pédagogique en ajoutant un certain nombre d’éléments venant impacter les émotions de l’apprenant et in fine l’apprentissage. Les deux principes les plus étudiés dans ce cadre sont la couleur et l’anthropomorphisme (ajout de caractéristiques humaines à des objets).
 
Mais quel est l’impact de ce genre d’éléments ?
 

L’approche « Moins c’est Mieux »

 
La recherche théorique sur l’impact de l’émotion dans l’apprentissage multimédia a identifié différentes approches de conception pédagogique par l’incorporation d’éléments dits émotionnels dans un dispositif. Les effets des stimuli émotionnels sont contradictoires selon les recherches.
 
Si nous suivons la théorie de la charge cognitive (voir article 1), l’ajout d’éléments dits « émotionnels », comme l’anthropomorphisme ou la couleur, induit une charge cognitive extrinsèque supplémentaire, et donc altère l’apprentissage (Rey, 2012). Pekrun & Linnenbrink-Garcia notent également que de tels ajouts pourraient conduire l’apprenant à un niveau élevé de distraction qui dégraderait l’apprentissage en éloignant l’apprenant de la tâche.
 
Pour concevoir un dispositif efficace, il faudrait ainsi ajouter le moins d’éléments émotionnels possibles afin de ne pas augmenter la charge cognitive extrinsèque ce qui nuirait à l’apprentissage. Cette approche est appelée « moins c’est mieux » (Mayer ; 2014). Diverses recherches empiriques vont dans le sens de cette hypothèse, mais restent de moins en moins défendues par les chercheurs face à de nouveaux résultats contradictoires.
 

L’approche « Plus c’est Mieux »

 
Moreno dans sa théorie, explique quant à elle que l’ajout d’éléments émotionnels va augmenter le déploiement des ressources cognitives dans la tâche et ainsi rendre l’apprentissage plus efficace. Cette approche pédagogique est appelée « plus c’est mieux ».
 
Cette théorie est aussi vivement critiquée. Un des exemples permettant de remettre en question cette approche est l’utilisation des images décoratives mais non nécessaires, dont on voit empiriquement qu’elles sont généralement pénalisantes pour l’apprenant (voir principe de cohérence). Ainsi, ajouter une image de soleil dans un contenu sur l’économie peut détourner l’apprenant du but pédagogique. De cette limite est née une troisième approche : « Focus c’est mieux ».
 

L’approche « Focus c’est mieux »

 
L’approche « focus c’est mieux » permet de répondre à cette problématique en proposant d’apporter de légères modifications à votre e-learning en ajoutant des éléments émotionnels qui transmettent en leur sein de l’information. C’est le cas notamment de l’anthropomorphisme et de la couleur.
 

Le rôle de la couleur

 
Diverses études ont montré que les sentiments des apprenants sont affectés par les couleurs. Par exemple, les couleurs chaudes suscitent une plus grande sensation d’excitation que des couleurs froides (Bellizzi & Hite, 1992; Wolfson & Case, 2000). Les résultats de la recherche appliquée à la publicité ont indiqué que des niveaux plus élevés de chroma (saturation) et de valeur (degré d’obscurité ou de luminosité de la couleur) influencent les sentiments d’excitation et de relaxation, et ces sentiments, à leur tour, provoquent une attitude positive envers le contenu (Gorn, Chattopadhyay, Yi et Dahl, 1997).
 
De plus, les couleurs peuvent permettre de transmettre des informations sur le contenu de par leur connotation (le rouge peut représenter le danger etc.). Penser la couleur, non pas comme une obligation, mais plutôt comme issue d’une réflexion et dont le choix peut être justifié (ou non) est pertinent.
 

Le rôle de la forme : le cas de l’anthropomorphisme

 
Un effet bien établi décrivant l’impact des formes visuelles sur l’émotion est le biais du visage de bébé : les personnes ou les choses aux traits ronds, aux grands yeux, au petit nez et au menton court sont perçus comme des bébés (Lorenz & Generale, 1950). Contrairement aux formes aux arêtes vives, ces traits ronds évoquent des attributs de personnalité de bébé, tels que l’innocence, l’honnêteté et l’impuissance, sentiments qui induisent un effet positif chez l’apprenant.
 
Des effets similaires ont été rapportés dans la recherche sur l’anthropomorphisme, qui étudie l’attribution de caractéristiques et de qualités uniquement humaines à des êtres non humains, des objets inanimés ou des phénomènes naturels ou surnaturels (Dehn & van Mulken, 2000). Le design émotionnel préconise donc l’utilisation d’illustrations et de personnages aux formes rondes au lieu de formes carrées.
 
L’anthropomorphisme permet notamment de décrire directement le lien entre des éléments. On peut par exemple observer facilement le lien entre les cellules de protections et des virus/bactéries sur l’image ci-dessous sans augmenter la charge cognitive du dispositif.
 

 
Image tirée d’un e-learning de Sydo sur l’immunothérapie
 

Bref

Nous l’avons vu, le rôle de l’émotion dans l’apprentissage multimédia est encore aujourd’hui, sujet à débat. Au sein de Sydo, nous utilisons généralement l’approche « Focus c’est plus » et l’avons même expérimenté dans le cadre de la première expérimentation de ma thèse. Nous avons montré que ce type de design permet un meilleur engagement, une meilleure compréhension, et surtout permet de compenser de faibles capacités attentionnelles chez un apprenant.
 
Au-delà des considérations théoriques, ce type de design n’est pas toujours possible à mettre en pratique et peut être considéré comme infantilisant par votre commanditaire.
 
Encore une fois, je vous laisse le choix d’en juger !
 
 
 
 

Pour aller plus loin sur le rôle du design émotionnel :

 
– Brom, C., Stárková, T., & D’Mello, S. K. (2018). How effective is emotional design? A meta-analysis on facial anthropomorphisms and pleasant colors during multimedia learning. Educational Research Review, 25, 100 119. https://doi.org/10.1016/j.edurev.2018.09.004
 
– Plass, J. L., & Kaplan, U. (2016). Emotional Design in Digital Media for Learning. In Emotions, Technology, Design, and Learning (p. 131 161). Elsevier. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-801856-9.00007-4
 
– Schneider, S., Nebel, S., & Rey, G. D. (2016). Decorative pictures and emotional design in multimedia learning. Learning and Instruction, 44, 65 73. https://doi.org/10.1016/j.learninstruc.2016.03.002

 
 
 
Et si vous voulez en savoir plus sur la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia :
Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia – Article 1 – La surcharge cognitive
Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia – Article 2 – Le principe de cohérence
Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia – Article 3 – Le principe de signalisation
Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia – Article 4 – Le principe de redondance
Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia – Article 5 – Le principe de continuité
Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia – Article 6 – Le principe de segmentation
Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia – Article 7 – Le principe de pré-training
Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia – Article 8 – Le principe de modalité
Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia – Article 9 – Le principe de personnalisation
Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia – Article 10 – Le design émotionnel
Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia – Article 11 – L’agent pédagogique
Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia : La fiche mémo Sydologie

 
 
 


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Youri Minne

  • Doctorant en psychologie cognitive

Apprendre des connaissances c’est bien. Mais les transmettre, c’est encore mieux ! Ayant toujours été passionné par l’apprentissage durant mon cursus de psychologie, j’ai la chance d’écrire des articles de vulgarisation sur des théories scientifiques. J’espère ainsi, au travers de mes articles, transmettre mes connaissances avec la même passion qui m’animait lors de la découverte de celles-ci.

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