Après une longue (looongue !) pause, c’est le retour de cette série sur les biais cognitifs et leur influence sur nos perceptions… Cette semaine, découvrons ensemble l’un des biais cognitifs les plus exploités par les professionnels du marketing.
Si je vous dis : lundi, jeudi, mercredi, dragon, mardi, dimanche, samedi… et que je vous demande ce que vous avez retenu, vous serez sûrement nombreux à répondre quelque chose de ce genre :
Félicitations, vous venez de faire connaissance avec l’effet d’isolation, ou effet Von Restorff, qui veut que l’on retienne plus facilement les éléments qui sortent de l’ordinaire ou qui diffèrent du reste du contexte dans lequel ils sont présentés.
Un peu d’histoire…
Mais pourquoi un nom aussi imprononçable, me direz-vous ? Il s’agit tout simplement d’un hommage à la psychologue allemande Hedwig Von Restorff, qui fut la première à mettre ce biais en évidence.
Née en 1906 à Berlin, la jeune femme se lance dans des études de philosophie, de psychologie et de sciences naturelles à la Humboldt Universität de Berlin, avant de travailler sur une thèse dirigée par le psychologue Wolfgang Köhler (l’un des fondateurs de la psychologie de la Gestalt, pour ceux à qui ça parle), thèse qu’elle soutient avec succès en 1933.
La même année, elle publie dans la revue « Psychologische Forschung » (Recherche en Psychologie) un article dans lequel elle met en évidence le biais psychologique qui portera son nom : elle y montre que dans une liste donnée d’items, certains sont plus simples à mémoriser que d’autres, et avance l’idée que cela serait lié au fait qu’ils se distinguent des autres par leur couleur, leur forme ou leur catégorie sémantique.
On retiendrait donc plus facilement ce qui est inhabituel, distinctif, ce qui se détache du reste… notamment parce que pour notre cerveau, ce qui est différent de l’ordinaire est perçu comme une menace : il va donc mieux le mémoriser.
Un biais vite exploité
Avec le développement du marketing, de nombreuses entreprises s’emparent de l’information, pressentant tout son potentiel pour se démarquer et faire vendre.
Elles jouent par exemple :
– Sur un visuel aux couleurs tranchées, comme la vache violette de Milka qui détonne sur un fond de prairie parsemée de paisibles Montbéliardes,
– Sur le décalage insolite : pensez notamment au bonhomme Cetelem, improbable mélange entre un humain macrocéphale et un gazon anglais (le premier qui comprend le rapport avec les crédits à la consommation gagne d’ailleurs tout mon respect)…
… ou bien aux personnages du 118 218 qui ont marqué notre jeunesse,
– Sur des effets de typo, de police ou de boutons qui mettent davantage en valeur certaines parties du message que d’autres. Ce principe est très utilisé en UX design, et de nombreux sites jouent dessus pour mettre en avant leur cœur d’offre (exemple ci-dessous avec WordPress et son forfait premium)
Comment l’utiliser en formation ?
Mais l’effet Von Restorff ne s’applique pas qu’au marketing et aux messages de communication : il fonctionne tout aussi bien pour des mots, des formes ou encore tout évènement qui vient rompre la relative monotonie du moment… ce qui, pour tout formateur, veut donc dire deux choses :
– Si vous vous appuyez sur des supports écrits (écrivez le moins possible, on le rappelle !) et/ou illustrés, pensez à utiliser l’effet Von Restorff à votre avantage pour mettre en avant l’essentiel à retenir et faciliter le travail de mémorisation de vos apprenants : couleur, taille de typo, image marquante, etc.
– Pendant une formation présentielle ou distancielle, les apprenants ont une tendance naturelle à s’assoupir (personne ne leur jette la pierre, on est tous passés par là) : à l’approche d’un point particulièrement important, n’oubliez pas de marquer le coup et de mettre votre propos en exergue d’une façon marquante ou d’une autre : danse, déguisement, changement soudain de personnalité, incantation criée, chant, lancer de bonbons, glissade faussement improvisée, jeu de mot démentiel… on vous laisse le choix de la méthode (certaines des idées listées ont d’ailleurs été testées par vos serviteurs Sydologues, à vous de deviner lesquelles…). L’idée est à la fois de les réveiller ET de leur faire vivre un instant suffisamment mémorable pour que leur cerveau s’en souvienne dans la durée !
L’effet Von Restorff : que retenir ?
– Si quelque chose sort du lot de façon évidente, c’est que c’est ce qu’on veut vous donner à voir. N’oubliez pas que l’effet est bien connu et que de nombreuses personnes plus ou moins bien intentionnées s’appuient dessus pour guider vos comportements, notamment en matière de consommation… gardez l’œil ouvert, et le bon, et sachez prendre du recul par rapport à votre premier instinct !
– À l’inverse, dans votre vie courante, n’hésitez pas à vous appuyer sur ce biais cognitif mine de rien très pratique : au travail comme sur la liste des courses, le bon vieux surligneur ou le stylo 4 couleurs qui viennent mettre un coup de projecteur sur telle ou telle chose à faire ou acheter n’ont pas leur pareil pour vous aider à vous rappeler ce qui ne doit pas être oublié (si tant est que vous ne stabiliotiez pas TOUTE LA FICHE) !
A bientôt pour de nouveaux biais cognitifs. Et n’oubliez pas, d’ici là, de nous laisser pas b(i)aiser !