#JDF Episode 8 : Les naufragés du clic

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Huitième épisode de notre série mensuelle « Le journal du formateur ». Ces articles seront l’occasion de faire le tour des galères que connaissent tous les formateurs, mais aussi de mettre en avant les meilleurs moments de ce chouette métier. Vous souhaitez vous aussi témoigner ? Ecrivez-nous : contact@sydologie.com 

On aura donc déduit de l’épisode précédent que je ne suis pas né avec une souris en argent dans la bouche – ce qui m’aurait certainement donné l’occasion de faire la une des journaux de l’époque, et flûte. Il a donc fallu que je m’y mette, à l’informatique, au digital et au numérique, et que j’accompagne, haletant et à la sueur de mon front, les transformations de ce monde sans cesse en mouvement : « le monde n’est qu’une branloire pérenne » (Montaigne). J’ai tapé mon mémoire sur l’ordinateur d’une copine, avec le plus de doigts possible relativement à mes possibilités d’alors (donc l’index droit), pestant contre ce traitement de texte qui ne me traitait, lui, pas toujours avec beaucoup d’égards. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à entendre ceux qui parlent la même langue que les ordinateurs me dire que « bon, tu vois, l’ordi, s’il fait ça, c’est que c’est toi qui lui as demandé de le faire, grosse bille ». C’est aussi à ce moment-là que j’ai pour la première fois été victime d’un phénomène bien connu des malades qui vont voir un médecin de temps en temps (tout le monde quoi) : lorsque j’appelle un spécialiste de l’informatique à la rescousse, sa simple présence suffit à faire disparaître le problème. Il n’a rien touché, il est juste là à côté de moi devant l’ordi, et là, pouf, ça marche. « Vous toussez beaucoup alors ? D’accord. » Ça me donne envie d’arracher toutes les touches de mon clavier à la pince à épiler et de verser du café moisi dans le deep avec un rire diabolique et une application sadique. J’espère que ça vous est déjà arrivé.

Autodidacte

Aujourd’hui, je suis loin d’être le roi du clic, mes collègues plus jeunes (tous, d’après mes calculs) et qui croient toujours (ils sont mignons) qu’ils seront perpétuellement de ce côté-ci de l’humanité et que jamais personne ne les prendra pour des grosses poules parce qu’ils ne sauront pas faire telle ou telle manip évidente pour quelqu’un qui aura 10 ans de moins, mes (jeunes) collègues donc me chambrent régulièrement parce que j’ai pas cliqué où il fallait ou parce que ça affiche l’adresse d’un lien quand je veux poster un GIF. Mais je sais me débrouiller, je n’appelle à l’aide que lorsque je suis sur le point de casser mon ordi et je me dépatouille pas trop mal face à un logiciel (mot has been, tant pis (expression #old, tant pis)) que je ne connais pas.

Oui mais voilà, formateurs, formatrices, nous avons parfois affaire à des apprenant(e)s qui, pour des raisons diverses, on ne leur jette pas la pierre (je n’arrive toujours pas à comprendre ce qu’est la blockchain pour ma part), sont restés à la vitesse du son quand les fibres optiques ont envahi nos immeubles (enfin si les fournisseurs d’accès ont fait leur boulot correctement, ce qui correspond à 22% des cas d’après des estimations subjectives et extrapolées).

« La vérité, l’âpre vérité » (Stendhal)

Ce jour-là, j’animais une formation sur un logiciel de présentation que nous aimons beaucoup, et pas seulement parce que son nom est une invitation aux jeux de mots régressifs (Prezi). Après une matinée dédiée à l’indispensable propédeutique, je me lançai dans la partie pratique de la formation : les apprenants, les yeux brillants (c’est souvent le cas), se réjouissaient de pouvoir enfin toucher le précieux outil et bidouiller à leur guise, pianotant en attendant dans l’air électrique pour se dérouiller les doigts et vérifiant connexion et niveau de charge de leurs machines. Ça allait cliquer grave.

Je me suis rapidement rendu compte que ça allait pas être une partie de plaisir. Après avoir montré quelques bases, je laissai mes formés manipuler l’outil et découvrir par eux-mêmes ce qu’il est possible de découvrir par soi-même (c’est moins fastidieux, plus gratifiant, plus intéressant : en un mot, plus pédagogique), et me baladai dans la salle, jetant un œil bienveillant sur les écrans de mes ouailles et tout disposé à leur apporter l’aide nécessaire si besoin. Un des apprenants me hèle justement car il ne parvient pas à faire ce qu’il souhaite : son ordinateur semble récalcitrant. Laissant de côté et par expérience la cruelle rengaine des spécialistes (« l’ordinateur fait ce que tu lui as demandé de faire »), je me précipite et lui demande des précisions. Tandis qu’il me fait une démonstration, je réalise, dépité, que malgré le fait qu’il utilise son propre ordinateur, il ne maîtrise (entre autres) :

  • Ni le double clic
  • Ni le clic droit
  • Ni le clic gauche
  • Ni le glisser-déposer
  • Ni l’enregistrement d’un fichier à une place qui permettra de le retrouver (ce qu’on pourrait résumer par « ni l’enregistrement d’un fichier » finalement)
  • Ni le passage d’une fenêtre à une autre

Si vous avez déjà été dans cette situation, à regarder quelqu’un mal utiliser un ordinateur, ou du moins pas comme vous le faites vous-même, vous savez l’effet que ça fait : on sent l’impatience grignoter la bienveillance de ses crocs acérés jusqu’à ce que, n’y tenant plus, on dégage manu militari l’utilisateur de devant son satané écran pour prendre le contrôle et cliquer enfin, ivre de victoire et malgré les protestations du dégagé, au bon endroit.

Pas de panique

Alors, face à des apprenants qui ne maîtrisent pas les bases de l’informatique, que faire ?

  • Garder son calme
  • Écouter leur souffrance et l’accueillir : ils sont souvent conscients de leurs limites dans le domaine
  • Si ce n’est pas le cas, leur ouvrir les yeux le plus diplomatiquement possible
  • Penser à ajouter dans les prérequis de la formation « GROSSE MAITRISE DE L’OUTIL INFORMATIQUE DANS SA GLOBALITÉ INDISPENSABLE »
  • Lire un max d’articles sur la blockchain.

 


Aurélien Dorvaux

  • Master « Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » – Certifié de lettres modernes

Après huit années passées à réfléchir aux meilleurs moyens d’enseigner le français à des collégiens et des lycéens, j’ai eu envie d’utiliser mes savoir-faire et de prolonger mes réflexions sur la pédagogie dans un autre contexte. J’aime m’interroger sur les mécanismes qui conduisent à la compréhension et sur l’apprentissage. Et comme tous les sujets m’intéressent, je trouve chaque jour chez Sydo de quoi satisfaire ma curiosité !

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