#JDF épisode 5 : Le test

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Le grand oral

Les insomnies, c’est pas ma guerre. J’ai des tas d’autres trucs qui déconnent, mais se retourner 15 000 fois dans son lit, boire trois litres de flotte, regarder un débat à 11 candidats in extenso ou compulser un livre blanc sur le cosmic learning pour se soporifier, ça m’est complètement étranger. Cette nuit-là pourtant, j’ai pas fermé l’œil et j’ai fait tout ce qu’on fait pour essayer de dormir alors qu’on sait qu’on n’y arrivera pas et que la journée du lendemain risque de ressembler à un extrait de Mulholland drive. C’est que je venais de mettre au point une nouvelle formation et que j’allais l’animer pour la première fois le lendemain… devant mes collègues. Oui on est comme ça ici : avant d’ajouter une formation au catalogue, on forme nos collaborateurs d’abord.

Et ça, ça fait flipper.

Tisanes automnales

Des formations, j’en ai animé des wagons, et des costaudes. Et comme on est spécialisés dans le méta, le plus souvent c’était devant un public de formateurs : public difficile, exigeant, posant volontiers les questions qui déstabilisent, réagissant autant à froid qu’à chaud qu’à tiède, et pas forcément disposé à ménager l’homologue qui se présente à lui. Mais le public le plus intransigeant, le plus impitoyable, le plus terrible, celui qui ne laisse rien passer du tout, c’est les collègues. Des pros, des tueurs, des grands malades, des chiens enragés. J’avais donc compulsé les agendas de ma quinzaine de collaborateurs pendant une quinzaine de demi-heures et fini par trouver un créneau pour réunir tout le monde dans la grande salle du haut. Là, un après-midi d’automne gris, tandis que mes collaborateurs mal lunés car aussi suroccupés que d’habitude sirotaient des infusions « nuit calme », « respiration pure » et « renforcement gastrique » puisqu’on avait oublié de re-commander du café, je m’étais emmuré dans une concentration obstinée et aveuglante, blindage obligatoire si je voulais aller jusqu’au bout de ce que j’avais prévu. Je n’avais donc pas entendu ma boss susurrer 2 minutes après le top départ à l’oreille de la responsable achats-en-ligne qu’elle avait l’impression d’être au collège. J’avais déroulé ma formation, tremblant mais enthousiaste, focus de chez focus, projetant mon prezi flambant neuf, proposant mes activités décapantes, bousculant mes pairs avec mes questions bien senties et mes remarques iconoclastes. Je prenais confiance en moi au fur et à mesure, et finis en apothéose avec une démonstration numérico-ludique que je trouvai très réussie.

L’union fait la force

Pendant ce temps, la réalité que j’avais refusé de prendre en compte, concentration oblige, avait suivi son implacable traintrain : trois collègues s’étaient barrés avant la fin, prétextant qui un rendez-vous avec son cuisiniste pour du parquet, qui une livraison de machine à bière, qui un énième coup de fil à son assurance. La directrice commerciale attendait désespérément que son téléphone sonne pour se sortir du bourbier. Un illustrateur avait dessiné tous les objets et toutes les personnes qui l’entouraient pendant que je parlais (30 pages d’une qualité remarquable, on les publiera peut-être un jour).

Les autres n’applaudirent pas. Comme le veut la coutume, on me hacha menu. Entre autres : l’activité 2 était chiante, je parlais trop, l’ordre de mes parties était discutable, ma chemise auréolait et mes visuels visualisaient pas assez. Comme d’hab, toutes les remarques étaient pertinentes, même si je m’évertuai avec une parfaite mauvaise foi à défendre les choix non moins mauvais que j’avais faits. Comme d’hab, il me fallut quelques jours pour encaisser, pour prendre en compte tout ce qui m’avait été dit, et rectifier ce qui devait l’être.

Bien entendu, c’est pas pour entendre que tout va bien et recevoir des tulipes qu’on teste les formations en interne avant de les animer pour de vrai.

Accepter ses (supposées) imperfections

C’est un peu douloureux ce laboratoire en interne, mais l’idée est vraiment bonne. Ça oblige à être super rigoureux et à ne rien laisser au hasard. Voici quelques conseils pour bien vivre les sessions de test :

– soignez le moindre détail : tout est important en formation…

– interrogez-vous continuellement sur les raisons qui vous poussent à faire tel ou tel choix : vous devez être capable de tout justifier

– croyez vos collaborateurs lorsqu’ils vous assurent qu’ils seront critiques pour vous rendre service

– vous jouez au squash ? programmez un match avec un adversaire beaucoup moins fort que vous la veille, ça vous donnera confiance, et un peu de sport aide à dormir

– penser à vérifier 2 jours avant qu’il y aura assez de café ; si ce n’est pas le cas, procurez-vous le café habituel, mais faites-le vite.
 
 
 
Retrouvez tous les articles du journal du formateur ci-dessous :
#JDF Episode 1 : imaginez le pire, même s’il n’est jamais sûr
#JDF Episode 2 : La mutinerie
#JDF épisode 3 : Encéphalogramme plat
#JDF épisode 4 : Acoustic Learning
#JDF épisode 5 : Le test
#JDF Épisode 6 : Massive Open Offline Crash
#JDF Episode 7 : Les non-enfants du numérique
#JDF Episode 8 : Les naufragés du clic
#JDF Episode 9 : « Attelage hideux et terrible… »
#JDF Episode 10 : « L’écoute brouillée »
#JDF Episode 11 : Former à PowerPoint sans utiliser PowerPoint ? Fastoche ! (partie 1)
#JDF Episode 11 : Former à PowerPoint sans utiliser PowerPoint ? Fastoche ! (suite et fin)
 
 
 


Aurélien Dorvaux

  • Master “Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation” – Certifié de lettres modernes

Après huit années passées à réfléchir aux meilleurs moyens d’enseigner le français à des collégiens et des lycéens, j’ai eu envie d’utiliser mes savoir-faire et de prolonger mes réflexions sur la pédagogie dans un autre contexte. J’aime m’interroger sur les mécanismes qui conduisent à la compréhension et sur l’apprentissage. Et comme tous les sujets m’intéressent, je trouve chaque jour chez Sydo de quoi satisfaire ma curiosité !

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