C’est le retour de la série sur nos chers biais cognitifs ! Vous savez, ces petits « raccourcis » pris par notre cerveau pour simplifier une réalité souvent complexe.
Aujourd’hui, je vais vous parler d’un biais qui nous permet d’expliquer les comportements des autres personnes. Pratique non ? Enfin, comme vous vous en doutez, notre pensée est parfois trompeuse.
Prenons un exemple : une personne vous double dans une file d’attente. Que pensez-vous ? C’est sûr, c’est une personne sans-gêne, égoïste, qui ne fait pas attention aux autres, etc. Vous aurez tendance à penser que son comportement est le reflet de sa personnalité plutôt que du contexte : elle est peut-être pressée parce qu’elle va rater son train, etc.
En effet, nous avons tendance à surestimer les facteurs personnels et à sous-estimer les facteurs conjoncturels (ou situationnels) pour expliquer le comportement des autres.
L’expérience de Ross, Amabile et Steinmetz
Voici l’expérience qui a permis de mettre ce biais cognitif en évidence (Ross, Amabile et Steinmetz, 1977) :
Il y a deux protagonistes (un questionneur et un questionné) et un public – les rôles ont été choisis au hasard.
1. Dans la phase 1, le questionneur pose 10 questions de son choix au questionné, puis approuve la réponse ou la corrige. Le public observe cette scène.
2. Puis, on met en place une phase d’évaluation portant sur la culture générale (aucun des protagonistes ne connaît les réponses à l’avance).
3. On demande aux deux individus (anciennement « questionneur » et « questionné ») de s’évaluer, et d’évaluer l’autre. Le public doit également les évaluer tous deux sur leur culture générale.
→ Les résultats montrent que les questionneurs sont considérés comme plus cultivés que les questionnés. On retrouve ce résultat du point de vue du public-observateur, mais aussi des questionneurs et des questionnés (qui se sentent donc moins cultivés que les questionneurs).
Pourtant, dans cette expérience, rien ne permet d’avancer que l’un des protagonistes est plus cultivé que l’autre, le rôle de chacun ayant été choisi au hasard et la phase 1 portant sur des questions dont le questionneur connaissait les réponses ! Chacun des évaluateurs aurait donc dû prendre cela en considération dans son jugement.
Julien Lepers était-il plus cultivé que ses invités ? Pas sûr…
Cette expérience de psychologie sociale met en évidence le fait que, pour expliquer le comportement d’un individu, on surestime les facteurs “internes” (traits de personnalité, dispositions personnelles, intentions, efforts) de l’individu pour expliquer son comportement et on sous-estime les facteurs externes (contexte, environnement extérieur, situation, autrui). C’est ce qu’on appelle l’erreur fondamentale d’attribution : nous faisons une erreur dans l’attribution des causes à un comportement.
Finalement, cela revient à faire peser sur l’individu la responsabilité de sa conduite assez facilement.
Comment expliquer ce biais ?
Si notre cerveau fait des erreurs #biaiscognitifs, il y a bien une raison ! Ici c’est simple : on a besoin de compréhension et de prévisibilité (ou au moins d’en avoir l’impression). Et il est évidemment bien plus simple de faire peser sur un individu la responsabilité de sa conduite plutôt que de prendre en compte plusieurs paramètres.
Si l’on prend en compte la personne pour sa décision, et non l’ensemble des causes extérieures, on peut se méprendre sur ses intentions. Il faut aussi prendre en compte le contexte de la décision.
Quand on anticipe nos propres comportements, on a également tendance à mettre de côté le contexte. Prenons l’exemple de l’expérience de Milgram. Ça vous parle ?
Dans cette expérience, qui a pour but d’étudier la “soumission à l’autorité”, trois individus sont mobilisés :
– une personne est interrogée, “l’élève”.
– une autre vérifie les réponses et est chargée d’envoyer des décharges électriques à l’élève en cas d’erreur : le “professeur”. Il gagne de l’argent s’il va au bout de l’expérience.
– une personne se trouve au côté du professeur et lui indique quoi faire : l’“expérimentateur”. Il lui demande notamment de continuer l’expérience s’il a une réticence à appuyer sur le bouton pour donner la décharge.
En réalité, les décharges sont fictives mais le professeur ne le sait pas. Seuls l’expérimentateur et l’élève sont dans la confidence. L’élève est un acteur qui réagit comme s’il recevait réellement les décharges.
La grande majorité des personnes estiment que si elles avaient le rôle du professeur, elles ne dépasseraient pas un certain seuil de décharge électrique envoyée. Cependant, l’expérience montre que les décharges envoyées sont plus grandes que celles anticipées. En effet, les personnes ont tendance à sous-estimer l’effet du contexte (présence d’une personne extérieure et d’autorité, ici l’expérimentateur) au détriment des dispositions internes (le libre-arbitre, notre capacité à décider).
Et que pense-t-on de nos propres comportements ?
Si nous avons tendance à expliquer les comportements des autres par des facteurs internes… en est-il de même pour expliquer nos propres comportements ?
Eh bien, cela dépend ! Si j’ai réussi mon examen, c’est sûrement grâce à mes propres compétences. Par contre si j’ai échoué, il est probable que je me dise que cela est dû au sujet, aux conditions dans l’amphi (bruit, chaleur, etc.), à la malchance, ou à d’autres raisons externes.
Donc il s’avère que nous avons tendance à expliquer nos succès (ou actions positives) par nos dispositions internes, et nos échecs davantage par des causes externes ! On pourrait résumer cela ainsi : « Si j’ai fait quelque chose de bien, c’est grâce à moi ; si j’ai fait quelque chose de moins bien, c’est pas de ma faute ! ».
Le nom de ce biais est tout trouvé : le biais d’auto-complaisance.
Voilà, vous en savez désormais un peu plus sur un de nos biais (ou “tromperies de cerveau” comme j’ai envie de les appeler) ! Alors n’oubliez pas : cette personne qui vous double dans la file d’attente n’est peut-être pas une mauvaise personne. Laissez-lui le bénéfice du doute ! (Ou demandez-lui : “Vous avez un train ? Vous êtes pressé·e ? Vous avez une bonne raison… ou vous êtes juste une personne sans-gêne ?!!!”).