[Sus aux neuromythes ! ] Episode 4 : Nous n’utilisons que 10% des capacités de notre cerveau

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Vous venez de terminer le film Lucy de Luc Besson (ça marche aussi avec le film ou la série Limitless et bien d’autres encore[1]) et vous aussi vous souhaitez exploiter 100% des capacités de votre cerveau afin de :

  • Changer à volonté de couleur et de longueur de cheveux
  • Arrêter le temps et faire des retours en arrière, en accéléré ou au ralenti !
  • Bouger des objets ou personnes par la force de l’esprit #psychokinésie
  • Mettre KO une dizaine de policiers en levant simplement la main
  • Vous dématérialiser

Plutôt vendeur hein ?

Alors, utilisons-nous réellement seulement 10% des capacités de notre cerveau comme l’explique Morgan Freeman dans Lucy ?

Roulement de tambours… EH BIEN NON. Nous utilisons pleinement les capacités de notre cerveau. Déso, vous ne serez jamais télépathe et vous n’apprendrez jamais le chinois en quelques minutes.

Le cerveau, cet organe mystérieux

Le cerveau est l’élément le plus complexe qu’il nous ait été donné d’étudier. Malgré des dizaines (centaines) d’années de recherches, le cerveau cache encore bien des mystères. Chaque année nous en apprenons davantage sur cet organe clé grâce notamment à l’utilisation d’outils toujours plus performants et sophistiqués.

Et c’est d’ailleurs une des raisons principales de l’« apparition de neuromythes » : les neuromythes d’aujourd’hui peuvent être les vérités scientifiques d’hier.

Il est très dur de retracer la genèse de la création de ce neuromythe et sa paternité est attribuée à diverses personnes :

  • William James et Boris Sidis, psychologues d’Harvard dans les années 1890 à l’origine de la théorie de la « réserve d’énergie ». D’après eux, une personne lambda n’exploite généralement qu’une partie de son potentiel. Ce potentiel inexploité (réserve) a rapidement été transformé en pourcentage du cerveau inexploité par Lowell Thomas, fameux auteur de Lawrence d’Arabie qui s’est réapproprié une partie de l’œuvre de William James. Cette mutation fit les beaux jours des chantres de la « pensée positive » et autres gourous New Age cherchant à vendre bouquins ou stages afin d’exposer leur méthode révolutionnaire permettant d’exploiter les 90% restants.
  • Albert Einstein, qui aurait expliqué ses capacités intellectuelles hors normes par sa faculté à utiliser plus de 10% de son cerveau (bien que cette déclaration du père de la relativité demeure introuvable).

Pour certains, ce mythe viendrait d’une confusion scientifique à la suite de la découverte de l’existence des cellules gliales qui remplissent les espaces laissés par les neurones et protègent les connexions nerveuses entre ces dernières. Lors de leur découverte, nous pensions qu’elles constituaient jusqu’à 90% du cerveau[2]. Ne connaissant pas réellement leurs fonctions, certains émirent ainsi l’hypothèse que seul 10% de notre cerveau étaient exploités.

Par ailleurs, au début du XXème siècle, on remarqua que malgré certaines lésions importantes du cerveau dues à des accidents, les blessés parvenaient toujours à marcher ou encore à parler, ce qui amena certains individus à penser que des zones du cerveau demeuraient inexploitées.

Enfin, des auteurs à succès réutilisèrent le concept neuroscientifique de « cortex silencieux »[3] à mauvais escient en laissant entendre que cette partie du cerveau, étant « silencieuse », n’avait aucune fonction et pouvait être « réveillée ».

 Chaque zone du cerveau a une fonction et nous utilisons chacune d’entre elles

Barry Beyerstein, célèbre neurologue, apporte de nombreux éléments afin de démonter ce neuromtyhe en prouvant que chaque zone du cerveau est utilisée, et même indispensable. Ainsi, il explique notamment que :

  • Contrairement à ce qu’on a pu croire dans le passé, chaque lésion cérébrale a des conséquences incapacitantes, quelle que soit sa localisation dans le cerveau ;
  • L’évolution nous montre que le corps humain ne s’embarrasse pas d’éléments inutiles à son fonctionnement et à sa survie. Aussi, si réellement 90% de notre cerveau était inexploité, cette part aurait été rapidement éliminée afin de bénéficier d’un cerveau plus réduit mais plus efficace (d’autant que le cerveau, qui représente seulement 2% de notre masse corporelle, consomme près de 20% de notre énergie).
  • Les cellules du cerveau qui ne sont pas utilisées, à cause de maladies cérébrales, dégénèrent. Aussi, si réellement 90% de notre cerveau était inutilisé, les autopsies nous révéleraient une dégénérescence majeure du cerveau

Barry Beyerstein nous indique aussi que les différentes techniques à notre disposition aujourd’hui (imagerie cérébrale, analyse micro-structurale ou encore études métaboliques) nous permettent d’affirmer que chaque zone du cerveau ainsi que chaque cellule sont actives et ont une fonction propre que nous connaissons.

Aussi, l’homme se sert de l’intégralité des zones de son cerveau (mais pas nécessairement au même moment) et ce, même durant son sommeil. Nous n’avons malheureusement pas de « réserve » de capacités à développer afin d’atteindre notre potentiel maximum.

Un neuromythe tenace… et lucratif !

Mais alors pourquoi, parmi tous les neuromythes existants, l’idée selon laquelle nous n’utilisons que 10% des capacités de notre cerveau est-elle aussi répandue et résistante malgré les multiples démentis des scientifiques et les preuves solides qu’ils apportent ?

Tout d’abord parce que nous avons envie d’y croire ! L’horizon d’un avenir où nous pourrions maîtriser de nouvelles compétences à une vitesse folle, voire apprendre des techniques tout droit sorties de la science-fiction (télépathie, psychokinésie ou même lancer de boules de feu comme Nicolas Cage dans le film l’Apprenti sorcier) fait rêver ! Pouvoir être potentiellement dix fois plus intelligent est une belle perspective.

Et enfin parce que certaines personnes veulent que nous y croyions, comme le montre la ribambelle de (mauvais) films et livres (comme par exemple L’Encyclopédie du savoir relatif et absolu de Bernard Werber) usant de ce neuromythe, mais aussi (et surtout) le florilège de gourous vous promettant, en lisant leur livre ou en suivant leurs cours, d’accéder à ces pourcentages inexploités !

Encore un neuromythe à éliminer, sauf s’il vous pousse à vouloir apprendre davantage !

[1] Vous pouvez d’ailleurs retrouver une liste (non-exhaustive) de films dans lesquels les personnages utilisent plus de 10% de leur cerveau sur le site Sens critique : https://www.senscritique.com/liste/Dans_ce_film_quelqu_un_utilise_PLUS_de_10_de_son_cerveau/502657

[2] Aujourd’hui, nous savons qu’il y a approximativement autant de neurones que de cellules gliales dans le cerveau.

[3] Cette partie du cerveau fut considérée comme « silencieux » par le neurochirurgien Wilder Penfield dans les années 1930 car elle ne réagissait pas aux stimulations électriques. Aujourd’hui, nous savons que le cortex silencieux est le siège de nombreuses spécificités humaines (jugement moral, pensées, conscience de soi, comportement social, etc.).

 
 
Episode 1 : Notre capacité à apprendre s’effrite en vieillissant
Episode 2 : Vous êtes plutôt « cerveau gauche » ou « cerveau droit » ?
Episode 3 : Faites travailler vos méninges !
Episode 4 : Nous n’utilisons que 10% des capacités de notre cerveau
Episode 5 : Nous pouvons apprendre une nouvelle langue en dormant !
Episode 6 : Les femmes sont multitâches (et pas les hommes)
Episode 7 : Buvez de l’eau et musclez votre cerveau !
Episode 7 : Buvez de l’eau et musclez votre cerveau ! (partie 2/2)
Episode 8 : Trouve ton style d’apprentissage pour booster celui-ci ! (partie 1/2)
Episode 8 : Trouve ton style d’apprentissage pour booster celui-ci ! (partie 2/2)
Episode 9 : Une tête bien pleine, une tête bien faite

 
 
 


Aymeric Debrun

  • Diplômé de Sciences Po Lyon – Master Coopération internationale et aide au développement

Découvrir un domaine inconnu, une nouvelle idée, une information ignorée. Se mettre à lire, étudier, analyser, comprendre. Puis approfondir, creuser, se passionner. Et enfin intriguer, intéresser, expliquer, transmettre. Et recommencer.

Un chemin maintes et maintes fois parcouru aussi bien dans ma vie personnelle qu’étudiante. Chez Sydo, j’ai trouvé un travail pour continuer à l’arpenter et faire de ce chemin… un schéma pédagogique.

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