[Sus aux neuromythes !] Episode 6 : Les femmes sont multitâches (et pas les hommes)

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Combien de fois avez-vous entendu cette ritournelle « les femmes savent faire plusieurs choses à la fois » ou son pendant masculin « les hommes sont incapables de réaliser plusieurs tâches simultanément » (et souvent dans la bouche des femmes, on ne va pas se mentir) ?

Les femmes, ces héroïnes du quotidien, disposeraient ainsi de capacités supplémentaires leur permettant de mener plusieurs tâches de front tandis que les hommes seraient condamnés à regarder toute leur vie l’eau des pâtes chauffer ou à devenir muets lorsqu’ils écrivent un message.

Alors, les femmes détiennent-elles vraiment des facultés cérébrales que les hommes peuvent seulement fantasmer ?

Une fois n’est pas coutume : oui, elles détiennent des superpouvoirs leur permettant de faire mille choses en même temps au travail ou à la maison.

Non je déconne, c’est encore un neuromythe qui arrange bien les hommes lambda qui peuvent cacher leur médiocrité quotidienne derrière cette théorie pseudo-scientifique (et bien évidemment, je ne suis pas un homme lambda). Désolé mesdames, vous n’êtes pas plus douées que les hommes pour faire deux choses en même temps : aucune aptitude spéciale ne différencie les deux sexes. En d’autres termes, on est tous incapables d’être multitâche.
 

Mais au fait : qu’est-ce qu’être multitâche ?

Je vous vois tous derrière votre petit écran à faire non de la tête, voire de souffler. Oui oui, je suis omniscient, mais là n’est pas le problème. Le problème c’est que vous êtes tous persuadés d’être multitâche car vous arrivez à jouer à Candy Crush en urinant (assis, demeurons raisonnables).

Primo, ne jouez pas trop longtemps sous peine de choper des hémorroïdes. Mais, surtout, ne vous méprenez pas, ce n’est pas parce que vous arrivez à réaliser ces deux actions de manière simultanée que vous êtes multitâche. Alors arrêtez de dodeliner de la tête et lisez attentivement.

Être multitâche signifie avoir la capacité de réaliser de manière concomitante au moins deux tâches conscientes, c’est-à-dire nécessitant de traiter des informations ou de réfléchir – des tâches requérant de l’attention (ou de la concentration).

Donc, oui, il est possible de marcher et respirer en même temps, penser au programme de votre soirée en vous curant le nez voire même écouter un podcast de Nicolas Canteloup en cuisinant. Et pourtant, cela ne fait pas de vous quelqu’un de multitâche car une des deux actions réalisées est dite « automatisée » ou 
« inconsciente »
.

Cette tâche a tellement été répétée que vous la connaissez par cœur et donc que vous n’avez plus besoin de votre attention pour la mener à bien : réaliser une autre tâche simple en même temps ne vous pose pas de problème. Autre cas de figure, cette tâche est réalisée en « toile de fond », sans y prêter attention (écouter l’album du duo Francky Vincent et Eve Angeli par exemple).

Une tâche ou une action « consciente » nécessite l’ensemble de notre attention afin d’avoir l’objectif poursuivi en tête et maîtriser totalement son comportement. Faites le test : essayez par exemple de lire un texte dans votre tête tout en expliquant la théorie des cordes à votre collègue à la machine à café.
 

Processeur monocoeur et commutateur

Je sens que mon raisonnement ne vous a pas encore totalement convaincus. Vous demeurez persuadés que vous êtes capables de faire deux tâches « conscientes » en même temps.

Eh bien, de nouveau, vous avez tort. Vous avez l’impression de réaliser deux tâches nécessitant votre attention exactement en même temps et pourtant ce n’est pas le cas. Que se passe-t-il alors ?

Dans une étude datant de 2010, Etienne Koechlin et Sylvain Charron, deux neurologues issus du Laboratoire de neurosciences cognitives de l’INSERM, ont démontré, grâce à l’imagerie médicale, que le cerveau fonctionne comme un ordinateur doté d’un processeur monocoeur et qu’une de ses zones constitutives (située à l’avant du cerveau, derrière le front) joue le rôle de commutateur.

En d’autres termes, cette zone du cerveau s’éclaire pendant la réalisation des deux tâches et elle coordonne le passage de l’une à l’autre de manière si soudaine (entre 0,1 et 0,25 secondes suivant les chercheurs) qu’il nous est impossible de nous en rendre compte, d’où l’illusion de faire deux actions exactement au même moment.

Ainsi, lorsque vous discutez avec votre collègue Francine via la messagerie instantanée de votre entreprise tout en participant à une réunion stratégique, votre attention se porte alternativement sur chacune des deux tâches mais jamais de façon totale sur les deux actions en même temps (ce qui peut entraîner des pertes d’informations et des erreurs fâcheuses, nous en parlerons plus tard).

Notre cerveau, cet ordinateur monocoeur (à la différence des ordinateurs multi-cœurs qui peuvent assigner à chacun de leurs cœurs une tâche spécifique), n’est capable de traiter qu’une seule tâche en même temps et il bascule en permanence de l’une à l’autre. Certains spécialistes appellent ce basculement continu de l’attention le « clignement attentionnel ».

Pour être un peu plus précis, l’attention de notre cerveau ne peut basculer qu’entre deux tâches au maximum et ce, car nous disposons de deux lobes frontaux capables chacun de traiter une action 
« consciente », de poursuivre un seul but.

Notre cerveau ne peut mener de front seulement deux actions car il ne peut en coordonner que deux en même temps. Un de nos deux lobes préfrontaux assure la poursuite d’un des objectifs pendant que l’autre garde en mémoire le second puis les rôles s’inversent et ce, jusqu’à la réalisation d’un ou des deux objectifs.
 

Erreurs, lenteurs et perte d’attention

Que se passe-t-il si on soumet au cerveau une troisième tâche ? Il commence à commettre de nombreuses erreurs et à perdre en réactivité et en vitesse.

Ce constat, bien que moins prégnant, est le même lorsque l’on tente de réaliser deux tâches à la fois. Forcer le cerveau à passer d’une action à une autre de manière répétée lui fait perdre de son efficacité, ce dernier devant se servir d’une partie de son énergie à gérer ce basculement et le fait de ne pas oublier le second objectif lorsqu’il se concentre sur le premier.

En tentant de mener deux actions de front, notre cerveau perd aussi en vitesse : le passage d’une tâche à une autre exige au cerveau un moment d’adaptation pour se remettre dans le contexte, ce qui crée des temps de latence.

De plus, plus on sollicite son cerveau en lui imposant le traitement de deux tâches simultanément, plus le risque d’erreur est important. N’avez-vous jamais buté sur une marche ou percuté un individu en discutant au téléphone tout en marchant ? La tâche dite « automatisée » ne l’est jamais réellement totalement et elle nécessite une partie de notre attention par moments. Il existe un goulot d’étranglement de l’attention : les différentes actions se télescopent, entraînant une succession d’erreurs.

Soumettre son cerveau à plusieurs tâches a un coût : perte d’efficacité, de vitesse ou encore multiplication d’erreurs et ce, à long terme. Les individus essayant de réaliser plusieurs actions simultanément deviennent plus enclins aux pertes d’attention, sensibles aux distractions, plus lents et in fine moins productifs.
 

Concentrez-vous sur une tâche (ou essayez de tout automatiser)

En conclusion, commencez une action, atteignez votre objectif (ou échouez, on n’est pas tous doués) et recommencez : vous serez plus productif, plus rapide et vous ne détériorez pas vos facultés d’attention. Et surtout, n’essayez pas d’expliquer aux personnes persuadées d’être multitâche que c’est un neuromythe : c’est peine perdue.
 
 
 


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Aymeric Debrun

  • Diplômé de Sciences Po Lyon – Master Coopération internationale et aide au développement

Découvrir un domaine inconnu, une nouvelle idée, une information ignorée. Se mettre à lire, étudier, analyser, comprendre. Puis approfondir, creuser, se passionner. Et enfin intriguer, intéresser, expliquer, transmettre. Et recommencer.

Un chemin maintes et maintes fois parcouru aussi bien dans ma vie personnelle qu’étudiante. Chez Sydo, j’ai trouvé un travail pour continuer à l’arpenter et faire de ce chemin… un schéma pédagogique.

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