Rappelez-vous, il y a quelques semaines, je vous parlais de Ivan Illich et de son livre Une société sans école. Ce dernier évoque à plusieurs reprises dans ses ouvrages “l’enseignement mutuel” ou “école mutuelle” en présentant ces concepts comme plus pertinents que l’enseignement comme nous le connaissons dans nos sociétés occidentales.
Mais qu’en est-il réellement ? Qu’est-ce que “l’école mutuelle” ? Quels sont ses principes ? Pourquoi n’est-elle pas plus répandue ? Comment s’appelle la méthode d’enseignement majoritaire dans nos écoles si ce n’est pas l’école mutuelle ?
L’enseignement simultané et l’éducation des couches populaires
Pour comprendre ce qu’est l’école mutuelle, nous devons nous plonger dans la genèse de l’école telle que nous la connaissons en France.
En 1680, Jean-Baptiste de La Salle, ecclésiastique et pédagogue français ayant dédié sa vie à éduquer les enfants pauvres dans les écoles de charité, introduit la méthode simultanée au sein de ces mêmes écoles.
Mais qu’est-ce que l’enseignement simultané ? L’école simultanée se déroule dans un lieu neutre, sans décoration. Les élèves sont dispersés dans des classes homogènes quant à l’âge et au niveau des élèves. La même leçon est délivrée pour tous dans un même lieu (d’où le “simultané”).
Le professeur (et son tableau) fait face à des rangées d’enfants assis, immobiles et silencieux. Les élèves doivent respecter les horaires, écouter le professeur, noter religieusement chacun de ses propos et garder les yeux ouverts, fixés sur le maître qui est dépositaire de l’autorité. Ce dernier fait usage de punitions ou de récompenses, selon les situations. Il peut s’appuyer sur les élèves les plus dociles pour faire régner l’ordre et être des relais de son autorité. Ce modèle qui semble s’inspirer de l’armée vous rappelle quelque chose ?
En effet, vous avez grandi dans des classes similaires, le modèle de l’école n’a que très peu évolué en près de 350 ans.
La méthode simultanée permet à l’époque d’éduquer un plus grand nombre d’enfants pauvres que les méthodes précédemment utilisées et ainsi, d’imaginer scolariser grâce à ce nouveau modèle tous les enfants. Cependant, en 1815, une nouvelle méthode encore plus efficace pour enseigner aux masses populaires voit le jour : “l’école mutuelle”.
L’école mutuelle et la massification de l’enseignement
En effet, cette année-là, non, je ne chantais pas pour la première fois, mais, par contre, la Société pour l’amélioration de l’Instruction élémentaire (SAIE), fondation philanthropique vouée à l’éducation populaire, est créée et par là même sont fondées les premières écoles mutuelles.
L’enseignement mutuel comme concept est plus ancien : il daterait du XVIIème siècle et proviendrait de Lyon où Charles Démia, prêtre et précurseur de cette nouvelle méthode, crée plusieurs écoles pour les enfants pauvres. Il y met en pratique certains principes de l’enseignement mutuel qu’il théorise ensuite en 1688 dans son ouvrage Règlements pour les écoles de la ville et diocèse de Lyon.
Ce concept voyage ensuite à Paris, en Inde où l’Écossais Andrew Bell expérimente cette nouvelle façon d’enseigner, ou encore en Angleterre, où Joseph Lancaster poursuit les travaux de Bell. Il est finalement réintroduit en France par le biais de défenseurs de l’éducation populaire pour y être largement structuré et appliqué.
Mais à quoi ressemble une école mutuelle ?
Les écoles mutuelles en France au XIXe siècle sont des écoles pour les couches les plus populaires de la société. Elles permettent de fournir un enseignement à de très nombreux élèves grâce à une organisation très différente de l’enseignement simultané.
Toute la salle de classe est repensée afin d’être dépolarisée : le professeur n’est plus en face de ses élèves mais entouré par eux. Les classes sont souvent composées de 60 à 90 élèves (voire plus encore) de tout âge. Ils sont répartis en groupes, ils exploitent l’ensemble de l’espace et sont affairés autour de surfaces pour écrire (souvent des tableaux). Ils peuvent se déplacer, parler, interagir.
Les élèves travaillent ensemble et les plus avancés/les plus âgés expliquent le cours aux autres. Chacun est à la fois élève et professeur (ou en tout cas “répétiteur”) selon ses compétences et appétences. Les différences de niveau au sein d’une classe ne représentent plus un frein mais une opportunité, le moteur du progrès.
Aussi, cette pédagogie repose sur le monitorat entre élèves et le professeur est moins présent. Ses deux rôles principaux sont d’accompagner les élèves les plus en difficulté et de faire régner un certain ordre afin que le fourmillement des élèves respecte un cadre propice à l’apprentissage.
L’objectif est de massifier l’enseignement des couches les plus pauvres grâce à des moyens minimaux afin que ces dernières acquièrent un socle de compétences minimal leur permettant de lire, écrire et compter. Les écoles mutuelles permettent d’aller plus vite (dans tous les sens du terme, vous le verrez plus tard) et pour moins cher : une classe, un seul enseignement, près de 100 élèves. C’est une véritable aubaine pour l’instruction primaire qui est alors complètement en chantier en France.
Est-ce que l’enseignement mutuel était pour autant efficace d’un point de vue pédagogique ? Quels sont ses avantages par rapport à l’enseignement simultané ? Et d’ailleurs, pourquoi cette méthode n’est-elle pas appliquée dans nos classes ?
Tant de questions, plein de réponses, mais il va falloir patienter un peu. Arrivederci !
Tous les articles de la série sont ici :
– L’école est finie – Partie 1 – Enseignement simultané et école mutuelle
– L’école est finie – Partie 2 – Enseignement simultané et mutuel, quelles différences ?
– L’école est finie – Partie 3 – Et la classe mutuelle, ça marche ?
– L’école est finie – Partie 4 – La mise à mort de l’enseignement mutuel
– L’école est finie – Partie 5 : C’est vraiment fini ?
– L’école est finie – Partie 6 : Et si la classe mutuelle était plus d’actualité que jamais ?