L’école est finie – Partie 4 – La mise à mort de l’enseignement mutuel

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Certes, l’école est finie… mais pas ma série d’articles. Je vous livre donc le quatrième épisode de cette série sur la classe simultanée et mutuelle, avant un éventuel cinquième épisode conclusif.
 

 
Vous l’avez compris, la classe mutuelle, ça a l’air fantastique : les enfants sont davantage à l’aise, prêts à apprendre et à partager leurs savoirs, et les résultats sont exceptionnels. Alors pourquoi tous les établissements français (et du monde, allons-y) n’ont-ils pas adopté cette méthode ? Pourquoi personne (vous en premier) ne connaît l’enseignement mutuel, ni le nom ni les principes ?
 

Tout est politique

 
Car l’école publique, en tout cas à l’époque (et peut-être encore maintenant ?), n’avait pas pour vocation d’instruire mais bien d’occuper les enfants, de former de bons soldats, ouvriers ou mères de famille, et de rendre toute cette population un peu plus propre, respectable et respectueuse.
 
Anne Querrien explique ainsi dans son ouvrage “L’école mutuelle : une pédagogie trop efficace” : “Pour le gouvernement et les personnes au-dessous qui le soutiennent, ce n’est pas une armée collectivement en marche vers le savoir (…) qu’il s’agit d’organiser, mais des ateliers de production de travailleurs dociles”.
 
À l’époque de la fondation de l’école publique, l’éducation des masses populaires avait surtout pour but de diminuer la criminalité (en enfermant les jeunes pauvres dans les écoles) et de leur fournir une certaine hygiène physique et morale, aucunement de les instruire.
 

Petit rappel chronologique

 
En 1833 est promulguée la Loi Guizot, proposée par François Guizot, Ministre de l’Instruction publique de 1832 à 1834. Elle permet la création d’écoles publiques et gratuites qui adoptent alors l’enseignement mutuel (les anciennes écoles, privées et religieuses, conservent la méthode simultanée pour la plupart).
 
Nous sommes alors au milieu de la bataille idéologique qui se déroule de 1815 à 1848 et voit s’affronter les tenants de l’école mutuelle et ceux de l’école simultanée. En 1848, c’est l’enseignement mutuel qui perd la guerre et est abandonné par l’Education nationale.
 
Étrangement, dans cette période de conflits entre les partisans de la laïcité et l’Église, c’est l’alliance de cette dernière avec le pouvoir en place qui a permis à l’école simultanée de triompher.
 
Mais pourquoi ? Tout simplement car l’enseignement mutuel était trop efficace, les enfants apprenaient trop vite et avaient donc “terminé” leur instruction trop tôt !
 

Les risques de l’enseignement mutuel

 
Le premier risque venait du fait que les enfants, ayant appris trop efficacement et trop vite (de 2 à 3 fois plus rapidement), allaient retourner “dans la rue” trop tôt, n’ayant pas encore l’âge d’aller travailler. Les enfants n’étaient pas “enfermés” à l’école assez longtemps !
 
Ainsi entendit-on au sein du Conseil général du Calvados en 1818 : “Le plus grand service à rendre à la société serait peut-être d’imaginer une méthode qui rendît l’instruction destinée à la classe inférieure et indigente de la société plus difficile et plus longue”.
 
Le deuxième risque était qu’en continuant à utiliser l’enseignement mutuel, ces nouvelles personnes instruites, pour la plupart issues des classes les plus pauvres, deviennent trop intelligentes, trop “éveillées”, et commencent à exprimer des revendications politiques ou sociales, et notamment que chacun ait les mêmes droits que les classes sociales les plus aisées. Imaginez le bazar si l’ordre social est questionné !
 
Anne Querrien remarque ainsi qu’une majorité des organisateurs du mouvement ouvrier à l’époque sont issus de l’école mutuelle au sein de laquelle ils avaient bien sûr appris à lire, à écrire, à compter, mais aussi à se faire confiance et à faire confiance à leurs camarades. L’école mutuelle pousse ses élèves à réfléchir, et notamment à réfléchir à l’organisation de la société, société qui leur assignait alors un destin de soumission et d’obéissance.
 
La remise en question de l’autorité et de l’ordre établi est en soit inhérente à l’enseignement mutuel. L’école simultanée se base sur le postulat que pour transmettre un savoir il faut être diplômé (être le professeur). À l’inverse, au sein de l’école mutuelle, le professeur n’est plus le dépositaire du savoir, chaque élève pouvant expliquer à ses camarades.
 
Un autre souci pour les élites était lié au fait qu’avec cette méthode, les enfants n’étaient plus qu’instruits et non pas éduqués, qu’aucune éducation morale chrétienne ne leur soit transmise.
 
Enfin, l’enseignement mutuel s’appuyait sur un nombre d’encadrants plus faible, du fait du rôle des élèves comme créateurs, transmetteurs et porteurs de savoirs. Certains ont peut-être eu peur pour leur poste…
 
Les écoles adoptant l’enseignement mutuel ne sont alors plus subventionnées, elles ne reçoivent plus aucun soutien du gouvernement ni de l’Église et disparaissent progressivement.
 
Paradoxalement, c’est Guizot qui donne le dernier coup de marteau pour clouer le cercueil de l’enseignement mutuel en créant en 1867 l’École normale des instituteurs pour former les futurs professeurs de l’école de Jules Ferry à la méthode simultanée.
 
 
La semaine prochaine (dans plusieurs mois) sera publié l’épisode final de cette série sur la postérité de l’enseignement mutuelle, qui expliquera en quoi cette méthode devrait être plus que jamais d’actualité.
 
 
Pour aller plus loin :
Anne Querrien, L’école mutuelle – Une pédagogie trop efficace ?, Les Empêcheurs De Penser En Rond, 2005.
 
 
 


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Aymeric Debrun

  • Diplômé de Sciences Po Lyon – Master Coopération internationale et aide au développement

Découvrir un domaine inconnu, une nouvelle idée, une information ignorée. Se mettre à lire, étudier, analyser, comprendre. Puis approfondir, creuser, se passionner. Et enfin intriguer, intéresser, expliquer, transmettre. Et recommencer.

Un chemin maintes et maintes fois parcouru aussi bien dans ma vie personnelle qu’étudiante. Chez Sydo, j’ai trouvé un travail pour continuer à l’arpenter et faire de ce chemin… un schéma pédagogique.

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