L’école est finie – Partie 5 : C’est vraiment fini ?

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Reprenons du début : la classe mutuelle est une méthode qui préconise que les élèves soient organisés en petits groupes, et que chacun soit responsable d’une partie de l’apprentissage et de l’enseignement des autres membres de son groupe. Ces élèves peuvent choisir le sujet qu’ils veulent étudier et s’enseignent mutuellement ce qu’ils ont appris.
 
Cette méthode favorise l’implication des élèves dans le processus d’apprentissage, l’apprentissage autonome, l’interaction entre les participants, l’échange de savoirs et la collaboration, et permet à chacun de mettre en avant ses compétences (connaissances, savoir-faire ou savoir-être).
 
Au fil de cette série d’articles, j’ai exploré les concepts de l’enseignement simultané et de la classe mutuelle, leurs différences fondamentales, leur histoire ainsi que leurs avantages et inconvénients respectifs. Aujourd’hui, il est temps de tirer quelques conclusions.
 

L’école mutuelle, c’est fini…

 
Pour commencer, il est essentiel de rappeler que l’enseignement simultané, tel qu’il est actuellement pratiqué dans la plupart de nos établissements scolaires, peine à répondre aux besoins et aux aspirations des élèves et de la société (en tout cas de tous les élèves). Cette méthode rigide conduit à une uniformisation mais surtout à une négation des différences entre les élèves, ce qui a pour conséquence d’en laisser certains sur le bord de la route. Par ailleurs, cette méthode pousse trop souvent à privilégier le cadre, l’obéissance et le conformisme à la prise d’initiatives et à la créativité.
 
Parallèlement, comme expliqué précédemment, la classe mutuelle représente une approche plus flexible, adaptative et coopérative de l’apprentissage. Les élèves sont encouragés à travailler ensemble, à échanger, à soutenir leurs pairs en s’impliquant et partageant leurs connaissances. De plus, cette méthode pousse les élèves à se responsabiliser, ce qui est crucial pour l’enseignement et l’acquisition de compétences et de connaissances. Enfin, l’hétérogénéité des niveaux et des compétences est perçue non plus comme quelque chose à gommer ou à taire mais comme une richesse.
 
Mais quels sont les obstacles à la généralisation de l’utilisation de la méthode de la classe mutuelle ? Accrochez-vous, ils sont nombreux…
 
Tout d’abord, l’abandon de l’enseignement simultané au profit de la méthode mutuelle provoquerait une levée de boucliers au sein de l’ensemble de l’appareil éducatif. Le professeur qui parle, les élèves qui écoutent, assis et silencieux : c’est un modèle profondément ancré dans la culture scolaire française. Le manque de formation et de préparation des enseignants à cette méthode pédagogique peut constituer un obstacle important.
 
Ensuite, la classe mutuelle suppose de grands effectifs. Ce n’est pas chose aisée de gérer des classes avec de si grands effectifs, surtout quand ces effectifs ont toujours eu l’habitude d’être passifs. Cette méthode nécessiterait un changement d’habitudes chez les élèves aussi, une plus grande autonomie de leur part et un système d’encadrement différent.
 
La mise en place de la pédagogie mutuelle exige une organisation logistique particulière, notamment des locaux et du mobilier adaptés, ce qui pourrait rendre difficile sa généralisation.
 
Plus globalement, l’éducation est un domaine complexe, où il peut être difficile de mettre en place des changements significatifs touchant aux habitudes, aux structures et à l’histoire. L’éducation, en France et ailleurs, est un enjeu politique majeur et toute réforme de l’école peut être source de débats et de conflits idéologiques. Les acteurs (et décisionnaires) sont nombreux, et variés, rendant complexe le système éducatif français et son évolution.
 
Les gouvernements sont donc souvent réticents à prendre des mesures considérées comme radicales et pouvant, par ailleurs, difficilement porter leurs fruits à court terme. La politique cherche souvent des résultats immédiats. Or, l’éducation est davantage “un investissement” à long terme (notez les guillemets sur le mot “investissement” svp). Par conséquent, souvent, il peut paraître plus facile pour les décideurs de maintenir le statu quo.
 
Enfin, pour dépasser le modèle de l’enseignement simultané, et aller vers d’autres types de méthodes, il est nécessaire de reconnaître que l’apprentissage est un processus évolutif, complexe et social, et non pas un simple transfert de connaissances et de compétences.
 
Mais sont-ce les seules raisons ? À mon avis, non. Comme précisé dans les précédents articles, le choix de l’enseignement simultané est profondément politique, avec une volonté sous-jacente de ne pas trop bousculer les hiérarchies traditionnelles (que ce soit la hiérarchie au sein d’une classe, ou dans la société de manière générale) ou les autorités en place. Il faut aussi réfléchir au but du système éducatif en place : former des individus capables de s’intégrer dans la société et de trouver leur place dans le monde du travail, de qui conduit forcément à une uniformisation de l’enseignement et à une mise en compétition des élèves, d’où la mise à l’écart de pédagogies dites (maladroitement) “alternatives”, comme l’école mutuelle.
 

… vraiment ?

 
Pourtant, le modèle est (partiellement et discrètement) remis en question, même dans les plus hautes sphères. Dans le rapport de la concertation « Refondons l’Ecole de la République », remis en 2012 à François Hollande, est soulignée l’importance de repenser l’organisation de l’école pour mieux répondre aux besoins des élèves et favoriser leur réussite. Pour cela, des recommandations sont faites dans le sens de l’adoption d’approches pédagogiques différenciées, afin notamment de s’adapter aux différences de rythme et de niveau des élèves. Ce même rapport met aussi en avant la nécessité d’utiliser davantage des méthodes permettant l’entraide et la coopération.
 
Dans ce rapport, est aussi souligné que “malgré de nombreuses expériences pionnières, malgré l’investissement et l’imagination de très nombreux personnels de direction et d’enseignants, l’École est restée dans l’ensemble fidèle à une pédagogie frontale traditionnelle : un maître face à un groupe d’élèves suivant le programme au même rythme. Pourtant, les résultats de ces expériences, les exemples étrangers comme les enseignements de la recherche nous montrent que d’autres pédagogies – les petits groupes, le tutorat, les projets – sont plus efficaces, en particulier, face à la difficulté scolaire”.
 
L’approche mutuelle permettrait certainement d’apporter des réponses concrètes à ces différentes préoccupations (prise en compte des spécificités, individualisation, apprentissage par les pairs, entraide, etc.).
 
En conclusion, l’évolution de l’école est un processus complexe et difficile qui nécessite une volonté politique forte, une coopération entre les différents acteurs du système éducatif et une ouverture d’esprit pour adopter de nouvelles méthodes et de nouveaux modèles d’enseignement mais aussi d’importants moyens pour mettre en place les profonds changements nécessaires : repenser l’organisation spatiale et matérielle des classes, créer et délivrer des formations spécifiques pour les enseignants, repenser les programmes et les objectifs d’apprentissage pour favoriser l’autonomie, la coopération et la créativité, etc.
 
Mais, finalement, est-ce que la classe mutuelle ne serait pas plus d’actualité que jamais ?
 
Réponse la semaine prochaine (ou presque).
 
 
 


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Aymeric Debrun

  • Diplômé de Sciences Po Lyon – Master Coopération internationale et aide au développement

Découvrir un domaine inconnu, une nouvelle idée, une information ignorée. Se mettre à lire, étudier, analyser, comprendre. Puis approfondir, creuser, se passionner. Et enfin intriguer, intéresser, expliquer, transmettre. Et recommencer.

Un chemin maintes et maintes fois parcouru aussi bien dans ma vie personnelle qu’étudiante. Chez Sydo, j’ai trouvé un travail pour continuer à l’arpenter et faire de ce chemin… un schéma pédagogique.

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 2 commentaires


  • Pouget Muriel

    Bonjour,
    Que je suis heureuse de tomber sur votre article. Je ne connaissais pas le terme de « classe mutuelle » mais c’est exactement ce que je visais avec mes élèves et qui me faisait vibrer en tant qu’enseignante. Je prenais parfois le temps de m’arrêter et d’observer ma classe; c’était toujours un grand moment d’humilité et de plénitude. Je me souviens d’un jour, ( je recevais un inspecteur pendant quelques minutes dans ma classe) alors que mon petit groupe de CE2 jouait avec un jeu de plateau sur l’accord des participes passés qui donnait lieu à de nombreux conflits sociaux-cognitifs! mes élèves de CM1 étaient occupés à diverses tâches. Deux renforçaient leurs connaissances mathématiques sur l’ordinateur, ils riaient tout en travaillant sérieusement. Deux autres étaient par terre en train de manipuler des étiquettes de conjugaison. Deux autres répondaient alternativement à des quiz portant sur des connaissances antérieures. Certains finissaient ensemble leur production d’écrits…et moi j’étais là, je les contemplais admirative. En début d’année j’investissais toujours beaucoup de temps sur la mise en place de rituels, d’activités en gestion autonome, sur la cohésion de groupe, la collaboration et le respect et je récoltais par la suite les fruits savoureux de ces petites graines plantées. Il y avait tout de même quelques moments collectifs mais la plus part du temps le travail se faisait en binôme ou en groupe.
    Merci pour vos articles et votre travail de vulgarisation.

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