L’école est finie – Partie 3 – Et la classe mutuelle, ça marche ?

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Maintenant que l’on sait ce que sont l’enseignement simultané et la classe mutuelle, essayons d’analyser l’efficacité de ces deux méthodes, et plus particulièrement celle de la classe mutuelle. Pour commencer, penchons-nous sur les défauts, à mes yeux, de la méthode simultanée.
 

Petit rappel sur l’enseignement simultané

 
L’enseignement simultané, comme il a été conçu initialement, cherche bien évidemment à fournir un socle de compétences et de connaissances mais aussi et surtout à former de bons petits soldats (au sens propre comme au sens figuré), de bons ouvriers mais aussi de bonnes femmes de ménage (dans le sens de femmes au foyer).

L’école simultanée enseigne l’obéissance, l’amour et le respect de l’ordre et de l’uniformité, l’homogénéité. À l’inverse, elle exècre et craint le mouvement, la curiosité, l’hétérogénéité, les personnalités trop appuyées et qui sortent du cadre et la prise d’initiatives notamment (elle déteste plein d’autres choses).

L’enseignement simultané promeut aussi la “propreté”, qu’elle soit physique (l’hygiène) ou morale (transmission de valeurs – chrétiennes en l’occurrence – comme l’importance des manières et de la politesse).

Au niveau de son organisation (et pas que), on peut rapprocher la classe comme pensée par l’enseignement simultané de la prison foucaldienne (si vous voulez aller plus loin, vous pouvez lire Surveiller et punir). Toute la classe est organisée afin que le professeur juché sur une estrade (qu’on peut rapprocher du panoptique) puisse observer et surveiller tout le monde : toutes les tables sont alignées, tous les élèves sont en rang. Tout est RE-CTI-LIGNE.

Comme dans une prison, l’austérité est de mise. Chaque objet au sein de la classe doit avoir une fonction bien précise et rien ne doit dépasser. Tout comme dans le milieu carcéral, femmes et hommes sont séparés.

Les élèves sont par ailleurs contraints, tout comme les prisonniers : physiquement (ils doivent demeurer assis, immobiles, les yeux rivés sur leur professeur), au niveau des horaires mais aussi dans les relations aux autres. Ils doivent par ailleurs fournir un travail forcé. Celui des élèves est de retranscrire religieusement chacun des mots prononcés par le professeur.

Enfin, au niveau disciplinaire, l’école fonctionne avec un système de punitions et de récompenses, tout comme en prison. Tout est fait pour que chacun reste sagement dans le rang et obéisse.
 

Mais alors, l’enseignement simultané, est-ce que ça fonctionne ?

 
Non, comme la prison par ailleurs, mais c’est un autre débat. Ivan Illich l’explique ainsi : “La prison, comme l’école, aggrave ce qu’elle était censée améliorer. La prison crée des délinquants, l’école crée des jeunes séparés de leurs capacités d’apprendre et de comprendre. Qui plus est, avec une redoutable efficacité, ces deux institutions réussissent à persuader leurs victimes de ce qu’elles ont mérité leur destin – on vous a donné votre chance, vous ne l’avez pas saisie”.

En outre, l’enseignement simultané ne développe en aucun cas la soif d’apprendre, bien au contraire. L’élève n’est là que pour écouter et écrire ce qu’on lui enseigne. Il ne peut être actif, participer, interroger, se questionner, vouloir aller plus loin, être curieux. Il ne doit pas réfléchir par lui-même, penser. L’élève n’est plus enfant, il est scribe (et quoi qu’on en dise, c’est pas une super situation scribe).

L’enseignement simultané contraint physiquement les élèves. Il nie même la notion de corps, ce qui est un véritable problème pour les corps en formation que sont ceux des enfants à l’école. Ni la tête, ni les jambes.

Enfin, l’école simultanée c’est l’école du conformisme. Ceux qui sont récompensés, présentés comme les élèves modèles, ceux qui réussissent dans cette “compétition” sont ceux qui obéissent le mieux, qui se tiennent le plus droit, dans le rang, ce sont ceux qui donnent tout sans réfléchir, ceux qui apprennent sans se poser de questions des choses qui ne les intéressent aucunement.
 

Et en quoi la classe mutuelle serait-elle plus efficace ?

 
Pour faire clair et vous répondre rapidement, la méthode est
plus rapide (globalement, à l’époque de sa création, on considérait qu’il fallait 2 ans aux enfants pour maîtriser l’écriture et la lecture contre 5 ou 6 ans pour l’enseignement simultané) ;
plus économique, car les élèves mettent moins de temps pour apprendre la même chose mais aussi ET SURTOUT car un seul professeur peut gérer des classes de 30 à plus de 100 enfants. En effet, le maître, globalement, ne doit gérer que les élèves qui sont en petits groupes et accompagner les élèves les plus en difficulté ;
et plus épanouissante pour les enfants qui peuvent être actifs, se déplacer, participer, questionner leur professeur, écrire au tableau, communiquer avec leurs camarades, leur expliquer des choses, se tromper, être curieux, j’en passe et des meilleurs.

Mais comment expliquer le fait que la classe mutuelle soit beaucoup plus efficace ?
 

La coopération entre pairs

 
Comme nous vous l’avons montré lors des précédents articles, la classe mutuelle fait la part belle aux échanges et plus particulièrement à la coopération (là où la méthode simultanée préconise seulement des échanges verticaux, du professeur vers l’élève). De nombreuses études, et notamment le programme PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) de l’OCDE, ont démontré l’intérêt de la collaboration et de la coopération dans les classes, notamment pour résoudre des problèmes ou pour rechercher des informations, dans le cadre de la préparation d’un exposé par exemple. Dans cette configuration d’entraide, les élèves vont plus vite, leurs recherches sont plus fructueuses et tout le travail devient plus efficace que si chacun avait travaillé seul.

Ainsi, les interactions sociales entre élèves, qu’elles soient symétriques (entre élèves de même niveau, avec les mêmes connaissances) ou asymétriques (entre sachants et novices, comme c’est souvent le cas dans la classe mutuelle) sont bénéfiques pour chacun du point de vue de la transmission et de l’apprentissage.

Le courant socioconstructiviste va même plus loin : d’après ses théoriciens, au niveau du développement cognitif, la collaboration et la coopération entre pairs peuvent engendrer des “conflits sociocognitifs”, comme une divergence de réponses sur un même exercice, et ce sont ces conflits, cette rencontre d’avis contradictoires qui permettent de construire.

Via cette opposition, un premier déséquilibre, externe, se crée lorsque chaque élève va exposer sa démarche, ses arguments et sa réponse. Un second déséquilibre, interne celui-ci, est intra-individuel : face aux arguments divergents de ses pairs, chaque élève va reconsidérer sa réponse et par là même, ses représentations ainsi que celles des autres, pour construire individuellement et, de façon indirecte, collectivement, un nouveau savoir. Un nouvel équilibre se crée, socio-construit.

C’est précisément ce qui se passe dans les classes mutuelles. C’est la fin du monopole de l‘enseignement dont jouissait le professeur et c’est un “essaim joyeux” d’apprenants, comme en parlait Victor Hugo, qui se met en branle afin de construire son savoir via la mutualisation et la coopération.
 

Pédagogie adaptative et hétérogénéité des niveaux

 
Par essence, une classe mutuelle mélange plusieurs niveaux, d’âges ou de connaissances notamment. Une classe mutuelle est donc hétérogène par nature, tout ce que déteste l’enseignement simultané. Mais en quoi cette hétérogénéité est-elle une force pour apprendre ?

Cassons déjà une idée reçue : une classe n’est jamais (parfaitement) homogène. Il y a et il y aura toujours des différences de niveau suivant les matières et, au-delà de ça, certains élèves sont plus à l’aise dans un format classique d’enseignement tandis que d’autres ont besoin de bouger, interagir, écrire au tableau, etc.

Si l’enseignement simultané contraint chacun à suivre un modèle monolithique, la classe mutuelle sait ainsi s’adapter aux spécificités des différents élèves : les plus “scolaires”, les plus actifs, les élèves en difficulté, ceux qui souhaitent partager, etc. Chaque particularité et chaque rythme d’apprentissage sont respectés, mais aussi chaque corps désireux de bouger ou d’interagir avec les autres..

L’hétérogénéité est également vue comme une ressource plutôt que comme un frein. En effet, celle-ci favorise la coopération, l’échange, l’entraide plutôt que la compétition et l’uniformisation. L’homogénéité n’est plus un idéal à atteindre au sein des classes mutuelles qui se nourrissent, bien au contraire, des différences de niveaux et d’intérêts afin que chacun puisse avoir l’opportunité d’être transmetteur et récepteur de connaissances.

Quand la méthode simultanée se trompe sur le constat de base (l’homogénéité d’une classe d’âge), en niant les particularités de chacun, et, par ricochet, sur la méthode à suivre, l’enseignement mutuel embrasse les différences des élèves pour enrichir collectivement la classe.
 

Une méthode qui plaît aux enfants

 
Si cette méthode est aussi efficace, c’est aussi parce qu’elle plaît aux principaux concernés : les enfants ! Anne Querrien, dans L’école mutuelle, une pédagogie trop efficace ?, nous explique ainsi : “Les élèves de l’enseignement mutuel quittent la classe avec peine. L’instruction est pour eux un délassement, un jeu, qui tient tous les ressorts de leur être en mouvement”.

La classe mutuelle comme elle est organisée et pensée est bien plus efficace pour éveiller et nourrir le désir d’apprendre chez les enfants, et surtout d’apprendre des choses très diverses, grâce aux centres d’intérêt et connaissances divers des élèves.

Ce qui est décisif dans cette méthode c’est qu’elle arrive à “parler” aux élèves considérés par certains comme “atypiques”, ceux désignés comme inadaptés par les tenants de l’enseignement simultané car trop turbulents, peu attentifs, bruyants. La classe mutuelle sait s’adapter aux enfants qui rejettent l’école classique (et qui sont surtout rejetés par elle), ceux qui ne rentrent pas dans le moule, qu’ils soient trop rapides, trop lents, trop bavards, pas assez, trop curieux, originaux.

Pour aller plus loin sur l’efficacité de la classe mutuelle, je vous conseille de lire Anne Querrien ou encore écouter Vincent Faillet.

Seul “petit” bémol : la classe mutuelle ne peut pas être véritablement mise en place dans les conditions actuelles, du moins dans l’Éducation nationale. Avec un seul enseignant pour 30 élèves et des locaux à peine assez spacieux, impossible d’encourager les travaux de groupes, la coopération et l’entraide. Les conditions d’enseignement permettent uniquement – et encore – l’enseignement simultané. En tout cas, elles ne sont pas pensées pour favoriser la mise en œuvre d’un autre modèle, même si son efficacité est prouvée, et même si l’ancien modèle ne fonctionne pas. Il faudrait une restructuration complète de l’Éducation nationale. On a le temps donc.

Rendez-vous dans les prochains jours (ou semaines) pour la suite de nos aventures. Mutuellement vôtre.
 
 
Tous les articles de la série sont ici :
L’école est finie – Partie 1 – Enseignement simultané et école mutuelle
L’école est finie – Partie 2 – Enseignement simultané et mutuel, quelles différences ?
L’école est finie – Partie 3 – Et la classe mutuelle, ça marche ?
L’école est finie – Partie 4 – La mise à mort de l’enseignement mutuel
L’école est finie – Partie 5 : C’est vraiment fini ?
L’école est finie – Partie 6 : Et si la classe mutuelle était plus d’actualité que jamais ?

 
 
 


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Aymeric Debrun

  • Diplômé de Sciences Po Lyon – Master Coopération internationale et aide au développement

Découvrir un domaine inconnu, une nouvelle idée, une information ignorée. Se mettre à lire, étudier, analyser, comprendre. Puis approfondir, creuser, se passionner. Et enfin intriguer, intéresser, expliquer, transmettre. Et recommencer.

Un chemin maintes et maintes fois parcouru aussi bien dans ma vie personnelle qu’étudiante. Chez Sydo, j’ai trouvé un travail pour continuer à l’arpenter et faire de ce chemin… un schéma pédagogique.

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