Neuro-éducation et pédagogie : sommes-nous tous crédules ? (partie 3/3)

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Dans l’article précédent, nous avons montré en quoi il est intéressant d’utiliser des résultats des neurosciences pour asseoir un propos. Aujourd’hui nous allons présenter les différents types d’utilisations des neurosciences initialement décrites par Jeff Bowers (2016) et reprises par Franck Ramus (2018).

Les justifications triviales : par exemple, « la plasticité cérébrale nous montre que les humains apprennent même à l’âge adulte ». Nous savions déjà que les humains apprennent tout au long de leur vie. Les neurosciences ont seulement démontré la réalité physique de ce phénomène.

Les justifications trompeuses : l’utilisation des neurosciences pour exprimer des résultats de la psychologie de type « les neurosciences montrent que la répétition des informations est bénéfique pour l’apprentissage ». C’est la psychologie qui a montré cet effet de répétition.

Les applications non légitimes des neurosciences à l’enseignement ou la mauvaise interprétation des résultats de neurosciences pour légitimer une méthode pédagogique. Franck Ramus cite l’exemple de la méthode globale qui serait inefficace car impliquée dans l’hémisphère droit plutôt que l’hémisphère gauche du cerveau. Cette justification aurait une pertinence si l’on avait montré un lien systématique entre utilisation de l’hémisphère gauche et l’apprentissage de la lecture.

Applications erronées à l’évaluation des pratiques ou le fameux : « l’imagerie cérébrale montre que mon dispositif/ma méthode fonctionne ». Par exemple, l’imagerie cérébrale montre que manger du chocolat améliore la mémoire. Une activation cérébrale n’est pas systématiquement liée à des performances d’apprentissage. Il serait plus pertinent de mesurer les performances de l’apprenant avant et après avoir mangé du chocolat tout en incluant un groupe contrôle qui n’en aurait pas mangé.

Conclusion

Oui, les neurosciences sont à la mode. Tout ce qui est « psycho » ou « édu » est souvent désigné avec le préfixe « neuro ». Nous avons vu que d’une part l’utilisation de concepts cérébraux et d’images du cerveau augmente la légitimité du message (neuro-enchantement), et d’autre part que l’on présente régulièrement des modèles issus de la psychologie comme des résultats venant des neurosciences.

Enfin, l’utilisation des neurosciences peut être liée à différentes intentions qui sont parfois douteuses voire malhonnêtes (Brain gym par exemple). Présenter un chercheur en blouse blanche avec un appareil d’imagerie médicale crédibilise et renforce le message transmis. Mais a-t-on vraiment besoin d’une blouse blanche pour légitimer un message ? Si oui, je cours m’en acheter une !

Le fait est que la psychologie expérimentale est aujourd’hui suffisamment développée et mature pour apporter des résultats de qualité très utiles pour éclairer les pratiques éducatives, sans avoir à les déguiser en résultats de neurosciences. D’après Franck Ramus (2018), faire passer la psychologie pour des résultats de neurosciences est une arme à double tranchant. En effet, les neurosciences ont tellement été utilisées à tort et à travers, qu’elles peuvent aujourd’hui agir en tant que repoussoir pour les acteurs de la pédagogie.

Pour nuancer notre propos, l’idée ici n’est pas de critiquer les neurosciences en elles-mêmes, car elles apportent des résultats intéressants et ont permis de faire avancer notre compréhension du fonctionnement cérébral. D’ailleurs, les neurosciences dites “cognitives” (combinaison des méthodes de neurosciences et de psychologie cognitive) ont permis de grandes avancées dans le domaine de l’éducation. Les neurosciences ont donc toute leur place dans l’étude de l’apprentissage. Il faut juste prendre garde à ne pas les utiliser n’importe comment, et surtout pas à des fins purement marketing.

Ces articles vous invitent à adopter un regard critique vis-à-vis de la neuro-éducation qui n’est souvent pas directement pertinente concernant les pratiques éducatives. Franck Ramus propose d’ailleurs d’abandonner ce terme de neuro-éducation au profit des sciences de l’éducation (regroupant un ensemble de domaines). Et si vous souhaitez en savoir plus, je vous recommande une nouvelle fois son article ainsi que la conférence sur le sujet.

Bibliographie :

• Bowers, J.S. (2016a) . Psychology, not educational neuroscience, is the way forward for improving educational outcomes for all children: Reply to Gabrieli (2016) and Howard-Jones et al. (2016). Psychological Review, 123(5), 628 635. https://doi.org/10.1037/rev0000043

• Ramus, F. (2018). Neuroéducation et neuropsychanalyse : Du neuroenchantement aux neurofoutaises. Intellectica. Revue de l’Association pour la Recherche Cognitive, 69(1), 289 301. https://doi.org/10.3406/intel.2018.1882


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Youri Minne

  • Doctorant en psychologie cognitive

Apprendre des connaissances c’est bien. Mais les transmettre, c’est encore mieux ! Ayant toujours été passionné par l’apprentissage durant mon cursus de psychologie, j’ai la chance d’écrire des articles de vulgarisation sur des théories scientifiques. J’espère ainsi, au travers de mes articles, transmettre mes connaissances avec la même passion qui m’animait lors de la découverte de celles-ci.

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 Un commentaire


  • Lavergne

    En tentant de s’accaparer le domaine des Sciences de l’éducation, la Psychologie marche, elle aussi, sur des plates-bandes qui ne lui appartiennent pas, en leurrant les parents des enfants en difficultés d’apprentissage et en leur faisant croire que les tests psychologiques vont résoudre leurs problèmes. C’est en fait cela la véritable arnaque!
    Partout pullulent des centres de dépistage psychologiques qui ne proposent rien après les bilans. Plus que la neuro-éducation qui tente de faire sa place au soleil…(il faut bien que les chercheurs « trouvent quelque chose » de nouveau ou réinventent des mots) ce que je constate c’est plutôt ce phénomène d’essai d’emprise des sciences psychologiques sur l’éducation et la pédagogie alors que les psychologues ne sont pas des pédagogues. A chacun son métier, il faudrait le rappeler!
    Mais plus que cela, au lieu de vouloir prendre le bout de gras à l’autre et s’accaparer les parts de marché que représentent les êtres humains en difficulté de toutes sortes, il faudrait mieux collaborer intelligemment entre professionnels responsables et trouver des aides concrètes pour les personnes en difficultés.

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