Après avoir vu le niveau 1 et 2 de gamification ces dernières semaines, attaquons-nous aujourd’hui au niveau 3 de gamification, le degré d’engagement le plus élevé.
Cette fois, on s’attaque à des objectifs pédagogiques plus complexes, où l’apprenant doit savoir évaluer une situation, prendre des décisions en conséquence et s’adapter face à des aléas potentiels.
Attention, qui dit objectifs pédagogiques complexes dit souvent conception complexe. Il faut ainsi imaginer différents scénarios, et accepter que l’apprenant ne voit pas tout ! Mais l’avantage, c’est que, souvent, il pourra rejouer pour approfondir son apprentissage.
Dans le commerce, les jeux avec un fort degré d’engagement des joueurs sont souvent des jeux de plateau, dits jeux de stratégie ou de gestion tels que Rollercoaster Tycoon ou Les colons de Catan par exemple.
Dans cette partie, on va vous présenter un jeu qu’on a imaginé et pour lequel on s’est inspiré de différents mécanismes de ces jeux.
Notre projet
Pour illustrer concrètement ce niveau 3 de gamification, parlons ensemble d’un projet propose par un client.
L’entreprise Omexom du groupe Vinci Énergie, qui se charge des chantiers de distribution d’énergie, comme par exemple l’enfouissement de lignes électriques, a souhaité créer un jeu pour former ses équipes de responsables d’affaires à la productivité sur un chantier.
Pour cela, ils souhaitaient que les apprenants puissent faire évoluer différentes variables pour influencer le jeu, et puissent comparer les différents résultats obtenus selon les choix réalisés.
Nous avons donc voulu imaginer un jeu de gestion reproduisant un chantier, dans lequel les joueurs jouent en équipe de 3 personnes. Plusieurs équipes réalisent le même scénario en même temps pour pouvoir ensuite comparer leurs résultats lors d’un debrief commun.
Les jeux qui nous ont inspirés
Seven Wonders : une histoire, plusieurs chemins
À l’origine, nous souhaitions concevoir un jeu dans lequel chaque équipe suivrait un scénario différent, avec un objectif commun : terminer le chantier dans un temps donné, afin de comparer les résultats obtenus.
Pour cela, nous nous sommes inspirés du jeu 7 Wonders, où chaque joueur a un plateau différent, représentant une civilisation et a pour objectif de cumuler un certain nombre de cartes/ressources pour pouvoir construire sa merveille du monde.
Notre détournement
Dans notre cas, nous avions ainsi imaginé 3 types de plateaux, représentant l’environnement du chantier (en ville, en pleine campagne ou en montagne), et un objectif commun qui est de finir le chantier en cumulant les ressources nécessaires à chaque étape, et dans un temps donné.
Notre objectif a évolué, car nous souhaitons maintenant que les équipes jouent le même scénario, c’est-à-dire le même plateau en même temps.
Mais nous avons conservé l’idée des 3 types de terrains, que l’on retrouve sur un plateau unique : le premier tronçon du chantier se passe en accotement d’une route de campagne, le 2e se passe en ville, et le 3e se passe à nouveau en campagne mais avec des réseaux adjacents impliquant une certaine attention des joueurs aux engins utilisés.
De plus, comme dans Seven wonders, nous avons gardé l’idée qu’il fallait accumuler des ressources/remplir des tâches sur le plateau pour faire avancer le chantier et le mener à bien.

Time Barons : des pouvoirs… sous conditions
Nous avions aussi besoin que les équipes puissent utiliser différents types de ressources : ressources humaines, engins de chantier, outils, matériaux…
Pour cela, nous avons pensé au jeu Time Barons, un petit jeu d’auteur très réussi.
Il s’agit d’un jeu de stratégie uniquement joué avec des cartes, qui ont chacune des “pouvoirs” mais qui nécessitent parfois de rassembler certaines conditions pour les utiliser. Sur chacune, on retrouve ainsi des informations telles que les ressources que cela coûte pour les jouer, les conditions nécessaires pour activer telle ou telle action, et les ressources que cela rapporte ou les dégâts qu’elles peuvent faire.
Notre détournement
Dans notre cas, nous avons imaginé que les cartes soient utilisables sous certaines conditions et que l’utilisation de certaines cartes coûte plus ou moins d’argent, impactant ainsi la rentabilité du chantier. En contrepartie, ces cartes permettent de réaliser certaines tâches pour faire avancer le jeu/le chantier.
Nous avons ainsi imaginé des cartes “engins” et des cartes “monteurs”.

Un Monteur peut faire 2 types d’actions :
– faire certaines tâches seul pour avancer le chantier, ou
– utiliser un engin pour d’autres tâches.
Chaque monteur dispose de différentes habilitations lui permettant, ou non, d’utiliser un engin.
Les cartes engins indiquent de leur côté le nombre de monteurs nécessaires pour être utilisées ainsi que leurs habilitations, et les tâches qu’elles peuvent réaliser.
Reigns : des choix à bien jauger
Enfin, nous avons dû abandonner un dernier angle…
Initialement, nous avions souhaité que les équipes puissent faire évoluer plusieurs variables telles que la sécurité sur un chantier, la satisfaction client/la qualité, ou encore la performance environnementale.
Nous aimons beaucoup le jeu en ligne Reigns, où l’on incarne un roi. Le but : régner le plus longtemps possible.
Le jeu consiste à prendre des décisions avec un mécanisme de swipe : une situation est présentée au joueur, et deux options de réponses face à la situation lui sont proposées selon s’il swipe à gauche ou à droite.
Chaque décision va influencer 4 jauges différentes positivement ou négativement : Le peuple/L’armée/l’Église/L’argent. Il faut être à l’équilibre sur les 4 jauges pour continuer de régner.
Notre détournement
Ce système de jauge nous a paru pertinent dans la situation recherchée. Ainsi, l’utilisation de certaines cartes pourrait influencer des jauges présentes sur le plateau, telles que la sécurité sur le chantier, ou le respect de normes environnementales.
Par exemple, si on utilisait une carte avec un engin d’occasion, on pourrait gagner des points en norme environnementale, en revanche, peut-être perdre des points en sécurité, ou en productivité par rapport à un engin neuf.
Cependant, comme expliqué précédemment, cette nouvelle mécanique de jeu s’avérait trop complexe à mettre en place et trop éloignée des objectifs pédagogiques, d’où son abandon.
Conclusion
En somme, pour mener à bien la conception d’un jeu, en particulier lorsqu’on vise un niveau 3 de gamification, il faut avant tout faire une veille approfondie (c’est-à-dire jouer à des jeux de société ou jeux vidéo, idéalement sur votre temps de travail), pour connaître toutes sortes de mécanismes et pouvoir ainsi les mélanger, et construire votre propre recette !
Attention cependant à toujours garder en tête vos objectifs pédagogiques pour ne pas vous perdre dans des détails de ludification qui risqueraient de desservir le propos. Il ne faut pas perdre de vue notre objectif principal qui reste l’apprentissage !
Le jeu est là pour capter l’attention et faciliter la mémorisation, il ne doit pas noyer les contenus ainsi présentés.
Enfin, il est primordial de prévoir un debrief après une partie, quelle que soit la longueur et la complexité du jeu : il faut aider l’apprenant à prendre du recul sur ce qu’il vient de vivre, et clarifier les messages-clés qui ont voulu être présentés par ce jeu.
Allez, maintenant au travail, je vais retourner faire de la veille…
Illustration réalisée via ChatGPT.

