Apprendre les mathématiques sans un mot ? C’est possible avec Magrid

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Magrid

Est-il possible d’enseigner les mathématiques sans un mot ? C’est le pari audacieux du programme Magrid.
 

Magrid : qu’est-ce que c’est ?

 
Il s’agit d’un programme scientifique et éducatif conçu pour faciliter l’apprentissage des mathématiques et ce, sans consigne écrite.
 
Tout a commencé au Luxembourg, un pays où les élèves de maternelle et de primaire évoluent dans un environnement multilingue (luxembourgeois, allemand, français pour ne citer que les langues officielles). Cependant, les différences de maîtrise des langues peuvent rapidement devenir un obstacle. Dans ce contexte, les difficultés des élèves proviennent souvent de l’incompréhension des consignes, plutôt que des exercices en eux-mêmes.
 
De ce constat est née l’idée de créer un enseignement sans consigne écrite, pour les mathématiques particulièrement.
 
Et pourquoi ce nom, « Magrid » ? C’est la contraction de « Maths » et de « grid », qui sont les grilles utilisées pour apprendre à compter.
 

Une solution née de la recherche scientifique

 
L’idée de Magrid a germé dans l’esprit du Dr. Véronique Cornu et du Dr. Tahereh Pazouki, alors toutes deux doctorantes en psychologie cognitive à l’université du Luxembourg, qui ont identifié le problème et proposé cette approche novatrice. Ce qui a donné lieu à plusieurs études scientifiques et publications en collaboration avec plusieurs universités luxembourgeoises, française et allemande.
 
À l’issue de sa thèse, Dr. Pazouki a décidé d’implémenter en vie réelle le programme Magrid pour les enfants de 3 à 6 ans avec ou sans besoin spécifique. Ce programme a été développé en soutien avec le Ministère de la Recherche et de l’Éducation au Luxembourg.
 
Le programme a démontré son efficacité, notamment chez les élèves sans trouble particulier mais dans un contexte d’instructions plurilingue. D’autres recherches continuent d’être réalisées en lien avec des élèves ayant des besoins spécifiques. En effet, au vu de la littérature scientifique, Magrid s’avère particulièrement adapté pour des élèves ayant des troubles d’apprentissage ou neurodéveloppementaux. Des recherches empiriques sont en cours pour compléter ces observations.
 

Pourquoi Magrid nous intéresse particulièrement ?

 
Trois éléments ont attiré notre attention :
la méthode d’apprentissage : comment apprendre les mathématiques « autrement » ?
l’inclusivité : comment faciliter l’apprentissage d’élèves aux besoins spécifiques et dans différents contextes culturels ?
l’articulation recherche et entreprise : comment faire cohabiter les exigences académiques avec les réalités du marché ?
 
Pour en savoir plus, nous avons échangé avec Dr. Anna Schmitt Pereira, coordinatrice de recherches scientifiques au sein de Magrid, et avec qui nous avons déjà collaboré pour un autre article.
 

Comment fonctionne Magrid en pratique ?

 
Magrid, c’est une application accessible sur tablette ou téléphone. Les élèves suivent par semaine 3 à 4 sessions courtes, d’une dizaine de minutes maximum, axées sur deux types d’exercices :
 
Les tâches visuo-spatiales qui développent la perception visuelle, la coordination et la motricité fine.
 
Les tâches numériques qui apprennent notamment aux enfants à reconnaître les nombres, les quantités et les symboles de 0 à 20.
 
Chaque session est personnalisable selon le niveau des élèves (débutant, intermédiaire ou avancé), pour un apprentissage autonome et progressif.
 
Le programme contient actuellement plus de 25 000 exercices, dont les objectifs sont compréhensibles en un coup d’œil. En effet, Magrid utilise des images, des formes et des représentations graphiques pour enseigner les concepts mathématiques. Cela permet aux enfants d’apprendre sans avoir besoin de compétences linguistiques avancées.
 
Un atout majeur ? L’interface est intuitive et les objectifs sont clairs immédiatement. Sans écriture, des animations et des bruitages viennent renforcer la compréhension et rendent l’expérience plus ludique : des feux d’artifice et des petits sons de victoire motivent les enfants à poursuivre leur progression.
 
Magrid est donc un programme permettant à tous les enfants, quel que soit leur niveau linguistique, de progresser à leur rythme.
 
Du côté pratique, Magrid est conçu pour être facilement intégré dans les écoles. Des sessions de formation sont proposées aux enseignants pour une prise en main rapide. Chaque enseignant peut avoir accès au suivi individuel de chaque élève, avec ses résultats, via un tableau de bord spécifique. Enfin, l’application ne nécessite pas d’accès Internet, la rendant accessible même dans des zones moins bien équipées.
 

L’inclusivité au coeur de Magrid

 
Bien que conçu initialement pour des élèves luxembourgeois, des apprenants dans un contexte plurilingue, Magrid n’a pas de limite linguistique en termes d’utilisation. En effet, il est actuellement utilisé par des élèves et des classes en Angleterre, d’autres au Vietnam, au Pérou, au Népal, au Portugal et prochainement au Curaçao.
 
Puisque que sans consigne écrite, pas besoin de traduction ! Malin non ? Si cela paraît simple sur le papier, il peut être nécessaire d’adapter Magrid, pour s’adapter aux différents contextes culturels.
 
En effet, les symboles et représentations utilisés, pour le comptage par exemple, peuvent être ajustés en fonction des pays. S’adapter au contexte culturel, c’est aussi utiliser des représentations qui se trouvent dans l’environnement quotidien : compter avec des grenouilles plutôt qu’avec des chats, par exemple.
 
L’équipe de Magrid se penche également sur la comptabilité avec le programme scolaire du pays en question, afin de voir comment l’adapter si besoin. L’équipe répartie dans plusieurs pays, travaille activement avec les enseignants et les parents, mais aussi les différents ministères de l’éducation pour réaliser des adaptations.
 
Par ailleurs, plusieurs études sur des élèves ayant des troubles neurodéveloppementaux continuent d’être menées parallèlement au développement de Magrid, montrant des résultats encourageants.
 
Par exemple, dans le cadre d’une rééducation en mathématiques pour les élèves dyscalculiques, les résultats se sont avérés positifs. Magrid est ainsi aujourd’hui utilisé par le centre de logopédie (orthophonie) luxembourgeois.
 

Quand la recherche rencontre l’entreprise

 
Enfin, ce qui a attiré notre attention chez Magrid, c’est la rencontre du monde académique et entrepreneurial. Comment assurer, en continu, une validité scientifique solide du programme, bien que les exigences du marché et de rentabilité vont parfois à contre-sens ? On a voulu creuser cela.
 
On a cherché, on a demandé et on a vu : chaque étape du développement de Magrid repose sur des études scientifiques rigoureuses, notamment dans le domaine de la psychologie et des sciences cognitives. Des collaborations avec des universités garantissent une validation scientifique constante. Les résultats, qu’ils soient positifs ou non, sont publiés. Car, même en l’absence de résultats probants pour une certaine population, les études représentent une avancée pour la recherche (et ne remettent pas en question la totalité du programme).
 
Finalement, si les exigences scientifiques (temps long, rigueur, etc.) pourraient sembler parfois en décalage avec les impératifs du marché (lancement rapide, rentabilité, etc.), ce programme prouve qu’une collaboration réussie est possible.
 
S’intéresser à Magrid était finalement aussi pertinent tant par rapport au sujet traité que sur la manière dont est mené ce projet. Sur ce point, on comprend également que la réussite du projet repose aussi sur la solidité de l’équipe et sa pluridisciplinarité.
 
Initialement, c’est Dr. Tahereh Pazouki elle-même qui a dû et su relever le défi de conjuguer son rôle de chercheuse avec celui d’entrepreneuse. Forte de cette double compétence, elle veille aujourd’hui à s’entourer de personnes de terrain tels que des psychologues, des associations comme des ONG, des enseignants et surtout des chercheurs qui partagent sa vision : prouver que la rigueur scientifique peut s’épanouir dans le monde des start-ups.
 
En attendant d’autres projets similaires dans le monde de l’éducation ?
 
 
 

Bibliographie

 
Retrouvez les études à l’origine de Magrid :
 
Cornu, V., Schiltz, C., Pazouki, T., & Martin, R. (2017b). Training early visuo-spatial abilities : A controlled classroom-based intervention study. Applied Developmental Science, 23(1), 1‑21. https://doi.org/10.1080/10888691.2016.1276835
 
Jung, S., Meinhardt, A., Braeuning, D., Roesch, S., Cornu, V., Pazouki, T., Schiltz, C., Lonnemann, J., & Moeller, K. (2020c). Hierarchical Development of Early Visual-Spatial Abilities
 
A Taxonomy Based Assessment Using the MaGrid App. Frontiers In Psychology, 11. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2020.00871
Pazouki, T., Cornu, V., Sonnleitner, P., Schiltz, C., Fischbach, A., & Martin, R. (2018d). MaGrid : A Language-Neutral Early Mathematical Training and Learning Application. International Journal Of Emerging Technologies In Learning (iJET), 13(08), 4. https://doi.org/10.3991/ijet.v13i08.8271

 
 
 


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Héléna Coudurier-Curveur

  • Master de Sociologie Recherche – Normes, économie et société – Sorbonne Université

Curieuse et intéressée par de nombreux domaines, il m’était difficile de faire un choix de spécialisation dans mes études. Pourtant dans cette vague d’intérêts, j’ai réussi à orienter les flots de mon enthousiasme avec… la pédagogie !

Car si ma première satisfaction est de comprendre, la seconde est de transmettre.

Je suis ravie de faire partie de l’équipe Sydo, où savoir-faire et émulsion d’idées mènent à la réalisation d’outils véritablement pédagogiques.

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