Les neuromythes dans l’éducation au Luxembourg

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Les neuromythes dans l'éducation

Nous avons fréquemment l’occasion d’aborder les neuromythes sur Sydologie. Ces mythes quant au fonctionnement du cerveau sont encore trop répandus dans nos sociétés, ce qui n’est pas sans conséquence.
 
De nombreux chercheurs se sont penchés sur ce phénomène. Récemment, certains d’entre eux se sont intéressés à l’adhésion à ces neuromythes dans un contexte particulier, afin de réaliser une étude scientifique (1). Celle-ci s’est déroulée dans un pays multiculturel, le Luxembourg et elle a concerné les professionnels de l’éducation au sens large, en intégrant des étudiants et des professionnels en exercice.
 
J’ai eu la chance d’échanger avec une chercheuse ayant participé à cette étude : Anna Schmitt. Dans cet article, vous retrouverez une retranscription de nos échanges, afin de préciser l’objet de cette étude, les raisons de celle-ci, ainsi que les principaux résultats.
 

Neuromania et neuromythes : une perspective historique

 
Depuis pas mal d’années maintenant, il existe une véritable fascination pour le cerveau et son fonctionnement. On parle même de “neuromania”, terme popularisé par Legrenzi et ses collègues en 2011 (1).
 
La “neuromania” désigne une fascination excessive pour le cerveau. Cette « obsession » pour la neuroscience, bien qu’initialement positive, peut avoir des conséquences négatives. Elle peut notamment conduire à des affirmations erronées et à des surinterprétations inexactes sur le fonctionnement du cerveau, du fait entre autres, de recherches complexes souvent mal comprises. Certains ont eu tendance à utiliser des termes, liés aux neurosciences à tort et à travers pour essayer de justifier une théorie éducative en lien avec le fonctionnement du cerveau : on parle dès lors de neuromythes.
 
L’apparition de ce phénomène de neuromania se fait dans un contexte de popularisation des recherches neuroscientifiques dans les médias, favorisé notamment par le gouvernement américain de l’époque et la promulgation d’un décret : “Decade of the brain” (la décennie du cerveau) (2). Dans les années 1980, c’est le neurochirurgien Dr. Alan Crockard (3) qui est le premier à parler de neuromythes.
 
Cet intérêt des pouvoirs publics américains a permis la multiplication des recherches de pointe sur le cerveau, aidées par des progrès scientifiques importants avec l’amélioration et la création de technologies de neuroimagerie comme l’Imagerie par Résonance Magnétique Fonctionnelle (IRMf).
 

Les neuromythes dans l’éducation : un enjeu critique

 
Les neuromythes, qui sont des croyances erronées sur le fonctionnement du cerveau, sont rapidement devenus un objet d’études scientifiques, notamment dans le milieu éducatif.
 
Bruno Della Chiesa et son groupe de recherches au sein de l’OCDE ont été l’un des premiers à interroger les limites de ces fausses croyances dans l’éducation, puis à les debunker. Ce qui a ouvert la voie à de nombreuses études scientifiques sur cette thématique.
 
Dans le cadre de leur étude, Anna Schmitt et ses co-auteurs se sont appuyés sur deux études précédentes : celle de Dekker et al., 2012 (4) et celle de Macdonald et al., 2017 (5). Ces études ont utilisé des questionnaires pour mesurer l’adhésion des neuromythes et les connaissances générales sur le cerveau des participants. Dans l’étude luxembourgeoise, 23 items de ces questionnaires ont été repris tels quel soit :
10 neuromythes ;
– 13 connaissances générales sur le cerveau valides ;
– 9 nouveaux items sur le HPI ont été créés sur base de la littérature scientifique et insérés à ce questionnaire.
 

Le contexte de l’étude : multiculturalisme, qualifications et neuromythes

 
Etant donné la richesse des études scientifiques sur la question des neuromythes, Anna Schmitt et ses collègues ont choisi un angle original : les neuromythes chez les personnes hautement qualifiées (dans l’éducation) dans un pays multiculturel (au Luxembourg dans ce cas précis). Mais comment et pourquoi cela ?
 
Tout d’abord, ils se sont appuyés sur la littérature scientifique existante et manquante pour orienter cette étude, grâce notamment à une revue systématique déjà publiée. Il s’agit d’un article qui synthétise et analyse d’autres études scientifiques sur les neuromythes (Torrijos et al, 2021) (6).
 
Par exemple, dans cette synthèse, certaines études antérieures ont pu révéler que les participants qui avaient un haut niveau d’études étaient ceux les mieux protégés contre les neuromythes. Anna Schmitt et ses co-auteurs ont souhaité vérifier cela dans leur étude au Luxembourg. Il s’agit de l’un des pays au monde, où les individus sont très diplômés. Ce contexte s’y prêtait pour vérifier cette hypothèse.
 
Ensuite, le Luxembourg est un pays multiculturel, dans lequel de nombreuses communautés cohabitent et dans lequel de nombreux frontaliers y travaillent. Ces personnes qualifiées ont donc souvent reçu une formation dans un pays étranger. Cette réalité était intéressante à explorer par rapport aux neuromythes car dans la littérature scientifique sur les neuromythes, certaines études montrent des différences culturelles entre les pays ; d’où l’intérêt de mener une étude scientifique sur les neuromythes dans un pays multiculturel.
 

Les résultats de l’étude : des neuromythes dans l’éducation encore tenaces

 
L’étude “Neuromyths and knowledge about intellectual giftedness in a highly educated multilingual country” souligne la forte prévalence de plusieurs neuromythes dans la catégorie de population interrogée, notamment deux : “les styles d’apprentissage” et “les intelligences multiples”. Les auteurs trouvent des résultats similaires aux études précédentes. Malgré de bonnes connaissances générales sur le cerveau et un niveau d’étude élevé, certains neuromythes restent fortement ancrés dans la communauté éducative.
 
Ces neuromythes dans l’éducation peuvent donner un apparent confort psychologique aux éducateurs avec l’illusion de simplicité et de facilité à mieux comprendre et à mieux aider les élèves.
 
Or ces fausses croyances ne sont d’une part pas validées scientifiquement (notamment car elles ne sont pas réplicables) et surtout elles ne sont pas efficaces, contrairement aux idées reçues.
 
Il n’existe pas différents “styles d’apprentissage” mais seulement des habitudes. Il n’y a pas d’apprentissage spécifiquement visuel, auditif ou kinesthésique. L’apprentissage est multimodal et “notre cerveau” s’adapte suivant la tâche à remplir.
 
Concernant les intelligences multiples d’Howard Gardner, il y a une confusion entre “capacité”, “compétence” et “intelligence” que l’auteur lui même a reconnue. La seule méthode objective scientifiquement pour mesurer l’intelligence demeure les tests de QI, qui sont des tests normés et standardisés. Si chacun peut avoir des talents et exceller dans un domaine différent, c’est assez éloigné de la notion d’intelligence.
 
Pour aller plus loin sur le sujet, nous vous conseillons d’écouter Nicolas Gauvrit (https://www.scepticisme-scientifique.com/episode-329-les-intelligences-multiples-de-gardner-nicolas-gauvrit/) et de lire cet article dans la revue Frontiers (https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2023.1217288/full).
 

La lutte contre les neuromythes dans l’éducation

 
Comme nous l’avons vu grâce à cette étude, et contrairement à l’idée reçue, un niveau d’étude élevé n’immunise pas toujours contre ces croyances erronées. Lutter contre les neuromythes, notamment dans le milieu éducatif, est primordial. Ceux-ci, et plus particulièrement les deux derniers cités, peuvent nuire à de nombreux élèves sous l’impulsion de professionnels éducatifs mal informés
 
Par exemple, une étude sur l’impact des styles d’apprentissage (7), réalisée récemment avec des parents, des enseignants et des élèves, a mis en lumière des conséquences très négatives sur les élèves dans leur orientation scolaire, ainsi que dans leur perception de leurs aptitudes intellectuelles. En d’autres termes, adhérer à des neuromythes en tant que professionnel de l’éducation peut être contreproductif et nuisible aux élèves.
 
L’une des solutions pour limiter leur présence dans le milieu éducatif réside dans la formation des professionnels sur le sujet par des experts du domaine pour réfuter de manière explicite les neuromythes. Pour ne pas nuire aux élèves, il est important de fournir des informations basées sur des preuves scientifiques et d’alerter sur les différents biais cognitifs pouvant alimenter et perpétuer ces (neuro)mythes.
 
Il faut aussi être vigilant quant au phénomène d’autoformation du personnel éducatif, qui peut s’appuyer sur des livres diffusant des neuromythes (parfois sans le savoir) ou encore sur le partage de pratiques de certains qui, eux aussi, diffusent des neuromythes (sans forcément le vouloir). Enfin, une approche de co-construction avec les médias, avec les professionnels de l’éducation et avec les neuroscientifiques peut limiter les mauvaises compréhensions.
 

Conclusion

 
Alors que le domaine des neurosciences continue de fasciner, il semble essentiel de rester vigilant face aux neuromythes, surtout dans l’éducation. Au Luxembourg, l’aspect multiculturel offre une perspective unique pour étudier et combattre ces mythes. En tant que passionnés de neurosciences et magazine spécialisé sur la formation et l’éducation, nous devons nous engager à démêler le vrai du faux, pour le bien de nos systèmes éducatifs et des apprenants.
 
 
 
 
 
 
(1) Schmitt A, Wollschläger R, Blanchette Sarrasin J, Masson S, Fischbach A and Schiltz C (2023) Neuromyths and knowledge about intellectual giftedness in a highly educated multilingual country. Front. Psychol. 14:1252239. doi: 10.3389/fpsyg.2023.1252239
https://www.frontiersin.org/journals/psychology/articles/10.3389/fpsyg.2023.1252239/full

(2) (Legrenzi, P., Umiltà, C., and Anderson, F. (2011) – Neuromania: On the limits of brain science. Oxford: Oxford University Press. 1–144.).

(3) Goldstein, M. (1994). Decade of the brain. An agenda for the nineties. Western Journal of Medicine, 161(3), 239–241. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1011403/

(4) Confessions of a brain surgeon. New Scientist. https://www.newscientist.com/article/mg15220616-800-review-confessions-of-a-brain-surgeon/

(5) Dekker S, Lee NC, Howard-Jones P and Jolles J (2012) Neuromyths in education: Prevalence and predictors of misconceptions among teachers. Front. Psychology 3:429. doi: 10.3389/fpsyg.2012.00429
https://www.frontiersin.org/journals/psychology/articles/10.3389/fpsyg.2012.00429/full

(6) Macdonald K, Germine L, Anderson A, Christodoulou J, McGrath LM. Dispelling the Myth: Training in Education or Neuroscience Decreases but Does Not Eliminate Beliefs in Neuromyths. Front Psychol. 2017 Aug 10;8:1314. doi: 10.3389/fpsyg.2017.01314. PMID: 28848461; PMCID: PMC5554523.

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28848461/
(7) Torrijos-Muelas M, González-Víllora S, Bodoque-Osma AR. The Persistence of Neuromyths in the Educational Settings: A Systematic Review. Front Psychol. 2021 Jan 12;11:591923. doi: 10.3389/fpsyg.2020.591923. PMID: 33510675; PMCID: PMC7835631.

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28848461/
(8) Sun, X., Norton, O. & Nancekivell, S.E. Beware the myth: learning styles affect parents’, children’s, and teachers’ thinking about children’s academic potential. npj Sci. Learn. 8, 46 (2023). https://doi.org/10.1038/s41539-023-00190-x
 
 
 


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Aymeric Debrun

  • Diplômé de Sciences Po Lyon – Master Coopération internationale et aide au développement

Découvrir un domaine inconnu, une nouvelle idée, une information ignorée. Se mettre à lire, étudier, analyser, comprendre. Puis approfondir, creuser, se passionner. Et enfin intriguer, intéresser, expliquer, transmettre. Et recommencer.

Un chemin maintes et maintes fois parcouru aussi bien dans ma vie personnelle qu’étudiante. Chez Sydo, j’ai trouvé un travail pour continuer à l’arpenter et faire de ce chemin… un schéma pédagogique.

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