Introduction
En parcourant les salons dédiés à la formation et la pédagogie, notamment récemment au Learning Show ou en suivant les discussions sur LinkedIn, j’ai été frappé par l’extraordinaire engagement des formateurs d’aujourd’hui. Je les vois multiplier les innovations pédagogiques, repenser sans cesse leurs méthodes, créer des contenus toujours plus interactifs et stimulants. Cette créativité et cette implication sans limite forcent l’admiration, particulièrement lorsque je les compare à ce que j’ai pu connaître durant mes années universitaires, où l’enseignement se limitait souvent à une transmission verticale du savoir.
Aujourd’hui, chers amis formateurs, vous qui portez quotidiennement le poids de la réussite de vos apprenants sur vos épaules, je voudrais vous proposer une pause. Une parenthèse de dix minutes, le temps de la lecture de cet article, pendant laquelle vous pourrez déposer ce fardeau. Respirez profondément, et laissez-moi vous proposer une réflexion différente de ce que vous avez l’occasion d’entendre.
Ne vous inquiétez pas, si à la fin de cette lecture vous souhaitez reprendre tout ce poids sur vos épaules, vous en aurez toute la liberté. Mais, peut-être, juste peut-être, découvrirez-vous une autre façon d’envisager votre rôle et vos responsabilités, une vision plus équilibrée et finalement plus efficace de votre mission.
Apprenants et formations : de quoi parlons-nous ?
Dans le monde de la formation professionnelle persiste une croyance tenace mais implicite : le succès ou l’échec d’une formation reposerait essentiellement sur les épaules du formateur. “Oui ce formateur est vraiment bien je te le conseille”. “La formation n’a pas plu, le formateur n’était pas pédagogue…” sont autant de poncifs que vous avez pu déjà croiser.
Je trouve que cette vision mérite d’être questionnée. Pour éclairer cette réflexion, le domaine de la psychothérapie offre un parallèle particulièrement pertinent. Des décennies de recherche dans ce domaine ont permis de mieux comprendre les mécanismes du changement personnel.
En effet, la recherche en psychothérapie a mis en lumière une réalité surprenante et solidement documentée : l’efficacité d’une thérapie ne dépend que marginalement des techniques employées par le thérapeute.
Les travaux de Lambert et Barley (2001) ont quantifié cette réalité : les techniques spécifiques ne représentent que 15% du changement thérapeutique observé, tandis que 40% du succès provient de facteurs totalement externes à la thérapie – le contexte de vie du patient, son environnement social, les événements qu’il traverse. Plus remarquable encore, 30% du changement est attribuable aux facteurs relationnels communs comme l’alliance thérapeutique (la relation de collaboration entre le patient et le thérapeute), et 15% aux attentes du patient (Lambert & Ogles, 2004).
En transposant ces enseignements au domaine de la formation, j’aimerais apporter une perspective sur la dynamique de l’apprentissage. Tout comme en thérapie, le succès d’une formation ne peut être réduit à la seule compétence du formateur. L’apprentissage émerge d’une constellation de facteurs dont la majorité échappe au contrôle direct du formateur. Le formateur, à l’instar du thérapeute, joue certes un rôle essentiel : il peut créer un espace propice à l’apprentissage, guider le processus, apporter son expertise et adapter son approche aux besoins du groupe. Cependant, son influence, bien que cruciale, reste limitée par nature. Acceptez-le dès maintenant.
L’apprenant est au cœur du processus
L’apprenant occupe alors une position centrale dans le processus d’apprentissage. Sa disposition intérieure, sa motivation, son engagement actif dans le processus déterminent en grande partie le succès de la formation. Certes, le formateur peut chercher à le motiver, mais il ne fera pas des miracles non plus.
En prenant conscience de son rôle actif, l’apprenant devient véritablement acteur de son développement. Son engagement se manifeste à travers sa capacité à se remettre en question, à expérimenter de nouvelles approches, à persévérer face aux difficultés. Plus encore, sa capacité à mobiliser ses ressources personnelles et à transformer les apprentissages en actions concrètes s’avère déterminante.
Par ailleurs, l’environnement dans lequel s’inscrit la formation joue également un rôle déterminant, souvent sous-estimé. La culture organisationnelle, le soutien de la hiérarchie, les opportunités de mise en pratique constituent autant de facteurs qui influencent profondément l’efficacité de la formation. Un apprenant, même motivé, évoluant dans un contexte défavorable rencontrera des obstacles significatifs dans l’application de ses apprentissages.
Faut-il faire évoluer ses formations ?
Une anecdote personnelle illustre parfaitement ce besoin de changement de perspective. Mon collègue Sylvain, avec qui je forme sur la question de l’IA et pédagogie, avait pris l’habitude d’analyser chaque retour d’évaluation après ses formations. À chaque commentaire négatif, il modifiait son contenu, ajustait ses exercices, peaufinait ses explications. Cette quête de la formation parfaite, bien qu’admirable, l’amenait paradoxalement à une forme d’instabilité pédagogique et une charge de travail supplémentaire (cf la loi de Pareto).
Ce n’est qu’après plusieurs mois qu’il réalisa une vérité fondamentale : une même formation pouvait recevoir des retours radicalement différents selon les groupes et les apprenants. Tel exercice, jugé trop complexe par un groupe, était considéré comme trop simple par un autre. Telle explication, saluée comme particulièrement claire par certains, semblait confuse pour d’autres. La variabilité inhérente aux différents publics, à leurs contextes et à leurs attentes rendait illusoire la recherche d’une version “parfaite” de la formation.
Cette prise de conscience l’amena à adopter une approche plus nuancée : plutôt que de modifier sa formation au moindre retour négatif, il apprit à identifier les patterns récurrents, les retours qui se répétaient systématiquement sur plusieurs sessions. Ce n’est que face à ces signaux forts et répétés qu’il procédait à des ajustements.
A chacun ses responsabilités
Alors, je vous vois venir, Sylvain devrait adapter le contenu de la formation à ses apprenants… Mais une réalité s’impose alors : il est tout simplement impossible d’adapter à 100% son contenu et sa formation à son public. Chaque apprenant arrive avec son propre bagage, ses connaissances, ses attentes, son rythme d’apprentissage, son contexte professionnel, et même son état d’esprit qui peut varier considérablement selon le moment de la journée – tel apprenant sera plus réceptif le matin, alors que sa concentration diminue l’après-midi, ou vice-versa.
Sans parler des événements imprévus qui peuvent bouleverser complètement la disposition d’esprit d’un participant – qu’il s’agisse d’un simple retard dans les transports ou d’un incident plus grave comme un accident de voiture avant la formation. Même au sein d’un groupe apparemment homogène, les besoins et les capacités d’assimilation varient considérablement. Chercher l’adaptation parfaite revient à poursuivre un mirage qui nous éloigne paradoxalement d’une pratique efficace.
Il ne s’agit donc pas de déresponsabiliser le formateur, mais plutôt de reconnaître la complexité inhérente au processus d’apprentissage. Les formateurs peuvent alors se concentrer sur ce qui relève réellement de leur responsabilité : créer un environnement propice, proposer un contenu solide et adaptable, et accompagner le processus d’apprentissage avec bienveillance. Libérés du poids d’une responsabilité excessive et de la quête impossible de la formation parfaite, ils peuvent développer une pratique plus sereine et, paradoxalement, plus efficace.
Les apprenants, de leur côté, sont invités à prendre pleinement conscience de leur rôle central. Cette prise de conscience s’accompagne d’une plus grande autonomie dans leur développement professionnel et d’une capacité accrue à tirer profit des occasions d’apprentissage, quelles que soient les conditions de formation. Tout comme Sylvain a appris à accepter la variabilité naturelle des retours, les apprenants peuvent comprendre que leur expérience d’apprentissage dépend autant de leur engagement et de leur contexte que du contenu de la formation elle-même.
Retour sur mon expérience personnelle
Mon parcours personnel de formateur illustre, je trouve, parfaitement cette réflexion sur la responsabilité partagée dans l’apprentissage. Pendant longtemps, j’ai donné mes formations avec passion, mais sans vraiment réfléchir à mes approches pédagogiques.
Sur le papier, j’étais probablement ce qu’on pourrait qualifier de “mauvais formateur” selon les standards actuels. Et quand je dis mauvais, je ne minimise rien : mes diapositives étaient d’une laideur confondante, sans la moindre considération pour le design ou la lisibilité. Je pratiquais des sessions marathons avec très peu de pauses, ignorant toutes les recommandations sur les cycles d’attention. Pas le moindre jeu pour dynamiser l’apprentissage, pas un seul quiz pour valider la compréhension. J’étais l’antithèse même de ce qu’on enseigne aujourd’hui en ingénierie pédagogique (et certainement le fruit de mon contexte d’apprentissage universitaire quand j’étais étudiant).
Et pourtant – c’est là que ça devient intéressant – je n’ai pratiquement jamais eu de retours négatifs de mes apprenants. Comment était-ce possible ? Comment une formation qui violait à peu près tous les principes modernes de la pédagogie pouvait-elle générer de la satisfaction ?
La réponse est simple et révélatrice : mon public était composé presque exclusivement d’enseignants venus se former à la psychologie. Ils arrivaient déjà motivés, curieux, passionnés par le sujet. En réalité, la moitié du travail était déjà faite avant même que je n’ouvre la bouche. Leur soif d’apprendre compensait largement mes lacunes pédagogiques (et peut-être ma pratique leur était familière). Cette expérience illustre parfaitement ce que nous avons exploré tout au long de cet article : le succès d’une formation ne dépend pas uniquement de sa structure pédagogique, aussi importante soit-elle.
Mon passage chez Sydo m’a ensuite énormément appris sur les techniques pédagogiques, la conception de formation, l’importance de la ludification. Pourtant, j’ai conservé de mes années universitaires une approche qui, bien qu’extrême, s’est révélée porteuse d’une vérité fondamentale : la qualité du système éducatif, aussi importante soit-elle, n’est qu’une partie de l’équation.
J’ai appris à accepter que certaines formations ne conviendront tout simplement pas à certains apprenants, non par défaut de conception ou de pédagogie, mais parce qu’ils ne sont pas réceptifs, n’ont pas de motivation intrinsèque, ou maintiennent une posture critique systématique. Je ne suis pas un justicier dont la mission serait de transformer chaque personne à tout prix. Ce deuil de la transformation universelle, loin d’être une défaite, est devenu une libération qui me permet de me concentrer sur ceux qui sont réellement prêts à s’engager dans l’apprentissage.
Cette réflexion m’amène à questionner fondamentalement le périmètre de ma mission de formateur. Est-ce mon rôle de convaincre ceux qui n’ont pas envie d’être là ? De transformer des résistances profondes en adhésion ? Je n’ai pas de réponse définitive, mais je sais que ces tentatives de ‘conversion’ me déplaisent et m’épuisent. Cette énergie dépensée à essayer de motiver les réfractaires pourrait être bien mieux investie auprès d’apprenants réellement désireux de progresser.
Après tout, n’est-ce pas le cœur de notre métier : accompagner efficacement ceux qui souhaitent apprendre plutôt que de s’obstiner auprès de ceux qui ne le veulent pas ? Je n’ai évidemment pas de réponse toute faite sur cette question. Certains formateurs excellent d’ailleurs dans cet exercice de motivation et de transformation des résistances. C’est peut-être là leur talent particulier, leur mission. Et si cette approche fait partie de leur vision du métier et qu’ils y trouvent leur épanouissement, je ne peux que saluer leur engagement. Pour ma part, j’ai choisi une autre voie, tout aussi valable mais différente.
Cette expérience m’a en tout cas, ouvert les yeux : bien que l’excellence pédagogique soit un objectif louable – et je remercie Sydo de m’avoir guidé dans cette direction – elle ne doit pas nous faire oublier que l’apprentissage repose avant tout sur la disposition de l’apprenant (d’où l’intérêt, quand c’est possible, d’analyser aussi bien que possible la cible, les apprenants, avant de concevoir une formation). Les meilleurs outils pédagogiques du monde ne peuvent pas remplacer la curiosité, l’engagement et la motivation intrinsèque de celui qui apprend.
Et on fait quoi maintenant ?
La réponse pourrait se résumer en trois mots : assumons nos responsabilités. Chacun la sienne, à sa juste mesure :
– Pour les formateurs, cela signifie peut-être d’oser faire un pas de côté. Continuez à créer des formations de qualité, à innover, à former avec les meilleures pratiques pédagogiques – mais accordez-vous le droit de ne pas être parfaits (au risque de vous perdre et de dégrader votre formation : le mieux est l’ennemi du bien). Acceptez que certaines sessions fonctionneront mieux que d’autres, non pas à cause de vos compétences, mais en raison de facteurs qui vous échappent largement.
– Pour les apprenants, il est temps de prendre conscience de votre devoir. La prochaine fois que vous entrerez dans une salle de formation, rappelez-vous que vous n’êtes pas un simple spectateur. Vous êtes l’acteur principal de votre apprentissage. Le formateur peut vous ouvrir des portes, mais c’est à vous de les franchir.
– Pour les organisations, il est crucial de créer un environnement propice à l’apprentissage. Cela passe par l’aménagement de temps dédiés, la valorisation des acquis, et la mise en place de conditions favorables à l’application des nouveaux savoirs. Il est également essentiel de s’assurer que les sujets d’apprentissage correspondent aux intérêts et aspirations des collaborateurs, plutôt que d’imposer des formations qui ne suscitent pas leur engagement. Cette approche volontaire favorise une meilleure assimilation et une motivation accrue.
Pour concrétiser cette prise de conscience, nous avons développé un petit outil récréatif et non exhaustif à destination des futurs formés : le Simulateur d’Apprenant. Avant de vous inscrire à votre prochaine formation, prenez quelques minutes pour évaluer votre disposition à l’apprentissage. Ce simulateur vous aidera à prendre conscience de votre état d’esprit et de votre niveau de préparation. Car oui, même le meilleur formateur ne pourra rien faire si vous n’êtes pas dans de bonnes dispositions pour apprendre.
Alors, la prochaine fois que vous entrez en formation, rappelez-vous : vous n’êtes pas là pour consommer passivement comme devant votre série préférée, mais pour co-créer votre apprentissage. Et ça, c’est une bien meilleure histoire à raconter !
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Un commentaire
Je suis tout à fait d’accord avec votre point de vue sur la responsabilité des apprenants dans leur parcours de formation. En tant qu’apprenant moi-même, je pense que l’engagement personnel est la clé pour tirer le meilleur parti des opportunités de formation. Toutefois, il est également essentiel que les formateurs et les organisations mettent en place des outils et des supports adaptés pour guider efficacement les apprenants. La collaboration entre les deux parties peut vraiment faire la différence. Merci pour cet article qui pousse à réfléchir sur nos propres pratiques et responsabilités dans l’apprentissage.