Si vous souhaitez lire le premier épisode sur les jeux vidéo et la violence : https://sydologie.com/2023/09/la-france-tombe-par-terre-cest-la-faute-aux-gamers-article-1/
Les jeux vidéo et la violence : démêler le vrai du faux
Depuis quelques mois, nous avons pris l’habitude avec Aymeric, notre rédacteur en chef, Clément, un développeur, et Jibé, un illustrateur, de jouer à la switch pendant la pause déjeuner. Bien que tous approchant de la quarantaine, je dois avouer que leur niveau est plutôt correct. Sauf Jibé qui, lui, est vraiment nul.
J’ai alors remarqué un point intéressant : Jibé, lorsqu’il perd (et il perd tout le temps), agresse ses collègues physiquement. En tant que fin limier, je fais tout de suite le lien : Jibé est intoxiqué par les jeux vidéo et les jeux vidéo rendent donc violent, CQFD.
Jeux vidéo et violence : mais… c’est vrai ça ?
Depuis plusieurs décennies, la question de l’impact des jeux vidéo sur le comportement des individus est au centre de nombreux débats et discussions (mais aussi des recherches scientifiques), notamment en ce qui concerne leur possible contribution à des comportements violents, la principale préoccupation étant la possibilité que la représentation récurrente de la violence dans ces jeux puisse transparaître dans les comportements réels. Moi-même, je dois bien avouer que je ne peux m’empêcher de voler des voitures depuis que j’ai squatté GTA pendant de nombreuses années..
Et bien que cette réponse soit très confortable (jeux vidéo = dangereux), la réponse se trouve dans la nuance, comme souvent et qu’un responsable politique puisse asséner ces propos sans ces nuances, relève de la bêtise ou d’un choix politique affirmé. Je vous laisse décider. Il semble en effet clair que les jeux vidéo sont le bouc émissaire parfait : « Les politiciens des deux côtés s’attaquent aux jeux vidéo, c’est une étrange force unificatrice », a ainsi observé le psychologue Patrick Markey. « Cela leur donne l’impression de faire quelque chose. »
Nous vous proposons donc de faire une plongée dans l’historique de la controverse et l’examen des données scientifiques actuelles en notre possession pour tenter de démêler le vrai du faux quant aux liens entre les jeux vidéo et la violence.
Un bref historique des jeux vidéo et de la violence
La controverse sur la violence dans les jeux vidéo n’est pas nouvelle. Elle voit le jour peu après l’apparition des premiers jeux vidéo. En 1976, seulement cinq ans après la création de “Pong”, un jeu simple de tennis en 2D, un jeu appelé “Death Race” fait déjà polémique. Dans ce jeu, les joueurs marquent des points en écrasant des “gremlins” avec leur voiture. L’aspect violent du jeu suscite alors la colère des journaux et des organisations civiles, conduisant les développeurs à retirer le jeu des rayons (https://www.discovermagazine.com/the-sciences/do-video-games-cause-violence). `
Les années 90 marquent une escalade dans cette controverse, notamment avec l’arrivée de jeux tels que “Mortal Kombat”, qui présente des scènes de combat explicites et sanglantes. Cependant, c’est en 1999 que les controverses autour de la violence dans les jeux vidéo atteignent un sommet. Cette année-là, le jeu “Doom”, un pionnier des jeux de tir à la première personne, est accusé d’avoir contribué indirectement au massacre du lycée Columbine, car Eric Harris, un des meurtriers, jouait régulièrement à ce jeu.
L’incident marque un tournant, solidifiant dans l’imaginaire public l’idée que les jeux vidéo violents peuvent jouer un rôle dans le déclenchement de fusillades scolaires ou d’homicides de masse. Ce sentiment est partagé par une grande partie de la société, même si seules quelques personnes sont en mesure d’étayer cette affirmation avec des arguments (qui demeurent questionnables).
Il est également pertinent de mentionner les interventions réglementaires transnationales, particulièrement menées en coopération par le Japon, l’Europe et les États-Unis. Ainsi, des jeux vidéo originaires du Japon sont parfois censurés ou modifiés lors de leur introduction sur les marchés occidentaux, reflétant des sensibilités culturelles différentes autour de la violence, du sexe ou d’autres thèmes. Par exemple, certains éléments des jeux Mario sont modifiés pour répondre aux normes occidentales (je ne peux décemment pas écrire quels éléments, nous sommes en Europe et vous pourriez être choqués).
Parallèlement à cette lutte contre les contenus violents, les études et les déclarations d’experts se multiplient les années suivantes, certains affirmant que la violence dans les jeux vidéo augmente le risque de comportements violents dans la société, appuyés pour cela par des organisations universitaires et des associations psychologiques. Ce débat revient d’ailleurs souvent lors des tueries, comme en 2013, après la fusillade à l’école primaire Sandy Hook de Newton, dans le Connecticut, ou en 2018, après la tuerie survenue à El Paso, au Texas, commentée par Trump qui fait alors un lien direct entre les jeux vidéo et ce drame.
Paysage de la recherche sur les jeux vidéo et la violence
Le paysage des recherches scientifiques sur les jeux vidéo et la violence est aussi varié que les jeux eux-mêmes. En effet, une multitude d’études est menée au fil des ans, avec des résultats parfois contradictoires.
Certains chercheurs, comme les psychologues Craig Anderson et Brad Bushman, soutiennent en 2001 que la violence dans les médias ainsi que dans les jeux vidéo est presque autant corrélée à la violence sociale que le tabac au cancer des poumons. Anderson, en 2003, affirme même que l’exposition à la violence dans les médias, les jeux vidéo ou même la musique, augmentait la possibilité d’un comportement agressif, tant à court qu’à long terme.
De nombreuses études et méta-analyses (une étude combinant les résultats d’une série d’études sur un même sujet donné) récentes remettent en question ces affirmations. Par exemple, une méta-analyse publiée en 2020 dans la revue Royal Society Open Science conclut que l’impact des jeux vidéo violents sur l’agressivité humaine était “trop faible pour être pratiquement significatif”. De même, l’American Psychological Association réaffirme en 2020 qu’il y a une insuffisance de preuves scientifiques pour soutenir un lien causal entre les jeux vidéo violents et le comportement violent. Il semble donc que le consensus sur cette question soit loin d’être évident dans la communauté scientifique.
Mais pourquoi ce sujet fait-il encore autant débat ?
Le débat sur les jeux vidéo et la violence met en lumière l’importance de la méthodologie dans la conduite des recherches en sciences sociales et comportementales. Plusieurs études ont utilisé des mesures d’agressivité qui ne se traduisent pas nécessairement par une violence dans la vie réelle.
Par exemple, des expériences ont été menés dans lesquelles les participants jouent à des jeux vidéo violents puis sont testés pour des signes d’agressivité avec des tests comme :
– Le test de volume sonore : il consiste à exposer les participants à des bruits désagréables, tels que des ongles grattant un tableau, des exercices de dentiste ou des sirènes d’ambulance. Les participants ont ensuite le contrôle de l’intensité et de la durée du bruit dirigé vers un autre individu (un confédéré)
– Le test de la sauce piquante : dans ce paradigme, on demande aux participants d’administrer de la sauce piquante à une autre personne, généralement décrite comme n’aimant pas la nourriture épicée. La quantité de sauce piquante administrée sert à mesurer le comportement agressif.
– Enfin, des questionnaires sur les sentiments et les pensées agressives des joueurs ont aussi souvent été utilisés pour mesurer l’agressivité.
Bien qu’étant des tests souvent utilisés, je pense que vous comprenez facilement leurs limites…
En effet, bien que pouvant révéler un changement de comportement, l’extrapolation à partir de ces tests dans le but de confirmer une augmentation d’un comportement agressif dans la vie réelle n’est-elle pas un peu forte ? De plus, pour une grande partie des tests, ce sont seulement les impacts à court terme qui sont mesurés.
M. Markey décrit notamment : « L’idée générale veut que les personnes qui jouent à des jeux vidéo puissent, juste après avoir joué, être un peu sautillantes et avoir des mouvements saccadés, mais cela ne change pas fondamentalement leur identité », a-t-il précisé. « C’est comme lorsqu’on va voir un film triste. Ça peut faire pleurer, mais ça ne mène pas à une dépression clinique. »
D’autres problèmes méthodologiques comme la sélection des échantillons, la définition des termes et la mesure des effets rendent encore moins évidents les résultats tirés des études faisant un lien de causalité entre violence dans les jeux vidéo et comportements violents dans la société. Par exemple, le psychologue Christopher Ferguson note que ce domaine de recherche est particulièrement sujet aux faux positifs, où des résultats jugés statistiquement significatifs peuvent en fait être le résultat du hasard, d’erreurs d’échantillonnage ou de problèmes dans la méthodologie de l’étude.
Ces défis méthodologiques soulignent la complexité de l’étude de l’impact des jeux vidéo sur le développement de comportements violents, et mettent en évidence la nécessité d’une approche rigoureuse et nuancée pour avancer dans la compréhension de cette question controversée.
Et du point de vue sociologique ?
Au-delà de l’analyse psychologique, une approche sociologique peut également être employée pour étudier la relation entre les jeux vidéo et la violence. Cette perspective élargie permet de prendre en considération les influences environnementales et culturelles qui modulent l’impact potentiel des jeux vidéo sur l’apparition de comportements violents.
Par exemple, une étude récente menée par le psychologue Patrick Markey et son équipe explore la corrélation entre la violence médiatique et la violence sociétale aux États-Unis de 1960 à 2012. Ils ont constaté que, malgré une augmentation substantielle de la violence dans les médias au cours des 50 dernières années, aucun lien n’a été trouvé entre cette dernière et les taux de criminalité, les résultats étant ajustés au regard de certains facteurs socio-économiques tels que l’âge, la différence de revenu, l’éducation ou la pauvreté.
Une autre étude dans le “Journal of Communication”, par Christopher Ferguson, se penche sur le lien hypothétique entre violence médiatique et violence sociétale. En examinant les tendances des ventes de jeux vidéo et la violence juvénile, Ferguson observe que l’augmentation de la consommation de jeux vidéo n’est pas corrélée à une augmentation de la violence chez les jeunes. Au contraire, malgré une multiplication par huit de la consommation de jeux vidéo depuis 1996 (dont beaucoup peuvent être considérés comme “violents”), la violence chez les jeunes Américains diminue considérablement.
Ces études suggèrent que la relation entre les jeux vidéo et la violence ne peut pas être réduite à une simple relation de cause à effet. Elles mettent en lumière la nécessité d’une compréhension multidimensionnelle qui englobe les facteurs sociétaux, économiques et individuels, la violence étant un phénomène complexe et les jeux vidéo n’étant qu’une petite partie d’un tableau beaucoup plus vaste.
Bref, pour conclure, affirmer que les jeux vidéo rendent violent est faux, la question étant bien plus complexe qu’il n’y paraît. Malheureusement, comme souvent dans le traitement médiatique et politique de l’information, la nuance est aux abonnés absents.
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