A la recherche du chercheur : Mikael Le Bourhis

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Langage, mémoire, raisonnement, prise de décision, perception, apprentissage… Nombreux sont aujourd’hui les thèmes abordés par la psychologie. Malgré cette richesse et cette diversité, il existe un fossé entre recherche et grand public. Bloquée dans le cliché de la psychanalyse, la psychologie peine notamment à se légitimer en tant que science. Mon but, dans cette nouvelle série, est de contribuer, autant que je peux, à réduire ce fossé.

Je vous propose donc, dans cette nouvelle série, d’interviewer différents chercheurs français travaillant de près ou de loin sur l’apprentissage et de présenter leur quotidien, leurs difficultés, leurs missions et leurs travaux. Pour commencer cette série d’interviews, j’ai la chance de vous présenter Mr Mikael Le Bourhis que j’ai pu rencontrer dans mon parcours et dont j’apprécie les initiatives.

Bonjour Micha, j’ai le plaisir de t’accueillir dans cette nouvelle série d’interviews sur Sydologie. Ce que je te propose, dans un premier temps, c’est que tu te tu te présentes. Qui est tu et d’où viens-tu ?

Merci beaucoup pour cette invitation et cette opportunité. C’est avec plaisir que je vais tenter de répondre à tes questions. La première est relativement simple : c’est Mikael le Bourhis. Tout le monde m’appelle Micha depuis pas mal de temps maintenant.

Ma formation initiale est une formation de neurosciences et plus précisément en neurophysiologie. Après ma thèse, j’ai décidé d’arrêter la science et j’ai fait le choix d’aller vers ma passion qu’est le jeu de société. J’avais vraiment envie de travailler dans cet univers qui m’a énormément apporté au quotidien en parallèle de la science. Je suis rentré chez Asmodee (éditeur de jeu de société) en 2016 en tant que chef de projet. Et il y a eu cette idée, après quelques années, de créer un lien entre l’industrie du monde du jeu et le monde académique. De fait, j’avais cette connaissance et cette vision de ces deux mondes.

J’ai donc proposé à l’entreprise Asmodee de créer d’abord un pôle « Asmodee Research », qui est aujourd’hui mon équipe, et de créer ensuite un programme nommé « Game in Lab », qui est un programme de soutien à la recherche sur le jeu où l’on initie des appels à projets, des conférences et des actions pour soutenir le développement de projets scientifiques sur les bienfaits du jeu de société.

Pourrais-tu nous expliquer en quoi consistent Asmodee Research et Game in Lab ?

Au sein de l’entreprise Asmodée, Asmodee Research a pour objectif de travailler sur la valorisation des bienfaits du jeu et des valeurs sociétales sur différents aspects : bien-être, santé, réduction des inégalités, meilleure éducation. Nous avons choisi de nous positionner sur des grands objectifs de développement durable de l’ONU.

Ce pôle est un peu vu comme le fer de lance de la stratégie RSE. Bien sûr, ce n’est pas l’ensemble de la stratégie et cela se monnaye parce que d’autres équipes se chargent de tout ce qui est écologique, fabrication et éthique. C’est en partenariat avec l’Innovation Factory qu’Asmodee Research a co-créé le Game In Lab en 2018. On est vraiment main dans la main sur ce projet-là et on pilote le projet ensemble.

Quelles sont alors les missions du Game in lab ?

Alors on a l’habitude de présenter le « Game in lab » sous trois axes. La première, c’est le soutien à la production de données scientifiques sur le jeu de société. Le deuxième axe est de créer des espaces d’interaction et de communication entre les différents membres de notre communauté, à savoir le monde de la recherche, le monde industriel du jeu de société et les passionnés et encourager des collaborations et des synergies, entre ces acteurs.

Concernant le soutien à la production de données scientifiques sur le jeu de société, cela se concrétise par deux appels à projets annuels. Le premier concerne des appels à projets internationaux. Des projets qui vont durer environ un an pour des montants de 15 000 euros. Ça peut être un projet brésilien, français, australien, américain ou autre.

C’est un appel à projets totalement ouvert, le chercheur propose des sujets de recherche calibrés pour tenir un an et pour apporter un élément de réponse sur une question précise. On n’a pas de domaine ou de discipline sélectionné. C’est vrai que nos propositions, jusqu’à présent, sont très orientées sur les sciences humaines et les sciences sociales parce que c’est en lien avec le jeu. Mais on pourrait très bien avoir des sujets qui portent sur l’économie ou les mathématiques ou encore sur d’autres domaines.

Nous avons un comité de sélection externe à Asmodee Research et l’Innovation Factory composé d’une douzaine de membres et qui est dirigé par Gilles Brougère, de l’Université Paris 13 et du Laboratoire EXPERICE. Ses membres garantissent à la fois l’éthique, la qualité et la neutralité de ce processus de sélection qui permet d’aboutir à une liste de projets qui vont être financés pour un an. Aujourd’hui, on a fait déjà trois appels à projets internationaux. On a 13 projets soutenus sur des thématiques très variées entre jeu et Alzheimer’s, jeu et spectre autistique, inclusion sociale, développement des fonctions cognitives à travers le jeu, jeu traditionnel en Afrique et cohésion sociale (Pour voir la liste des projets soutenus c’est ici).

De façon complémentaire, on lance un deuxième appel à projets sur des bourses CIFRE (pour comprendre ce qu’est une thèse CIFRE c’est ici) pour des jeunes chercheurs dans un périmètre national. Parce que, justement, le contrat CIFRE nous permet de faciliter les collaborations entre le monde de l’entreprise et le monde académique.

On est sur des projets de 3 ans. On a vraiment cette complémentarité entre études à court terme sur des projets internationaux et des études un peu plus long terme sur les projets CIFRE. On cherche une complémentarité entre les sujets afin d’éviter un overlap entre les différentes disciplines.

L’appel à projets est lui aussi ouvert. On ne dirige pas les appels à projets, mais on veille à ce que la sélection permette une complémentarité entre les sujets pour qu’il y ait des synergies qui se créent entre les résultats et pour éviter certaines confusions si les sujets sont trop proches ou autres. Et après, en matière de timing, l’appel à candidatures pour les CIFRE commence au mois de janvier pour une sélection qui aura lieu entre mars et avril afin que le dossier soit déposé avant l’été et que la thèse puisse commencer idéalement à la fin de l’année (Si vous vous sentez une âme de chercheur voici la page de candidature).

Combien avez-vous de doctorants actuellement ?

On a actuellement deux doctorants. Il y a Léa Martinez, qui a commencé l’année dernière pour trois ans. Elle travaille sur l’impact de la pratique du jeu sur le développement des fonctions cognitives chez les adolescents en lien avec leur réussite scolaire, tout ceci au sein du laboratoire CERCA de Poitiers. Notre deuxième étudiant est Michaël Freudenthal, qui fait sa thèse dans le laboratoire EXPERICE et qui porte sur les apprentissages informels dans les pratiques de jeu à forte tendance narrative ou fictionnelle.

On comprend bien effectivement ce premier axe : développer la recherche sur le monde du jeu et ses impacts. Un second point qui nous intéresse particulièrement à Sydologie c’est la manière dont on va articuler ses connaissances acquises provenant de la science fondamentale au monde professionnel et au grand public. Comment avez-vous mis en place cette transition entre les deux ?

Au début du Game in lab, on avait vraiment cette volonté de créer des événements à la fois de proximité, avec une communauté très locale, et des événements à plus grande échelle, pour un plus grand public. Donc, on avait des meetup organisés environ tous les trimestres, où l’on choisissait un thème. On invitait des experts à venir interagir avec la communauté sur des sujets précis et l’on en faisait des comptes rendus. On avait des conférences plénières qu’on organisait dans les grands événements de jeux de société, au festival de Cannes en France, à Essen, en Allemagne, aux Etats-Unis. Et c’est vrai que ça marchait bien. On avait cette dualité entre événements locaux et événements plus majeurs.

Et la crise sanitaire est venue un peu chahuter tout ça. On voulait conserver cette volonté de diffuser ce savoir scientifique, de le rendre accessible à tous. L’idée n’est pas de conserver les résultats pour Asmodee, mais vraiment faire bénéficier le plus grand nombre à la fois le monde de la recherche, l’industrie du jeu de société et les passionnés. Il a fallu s’adapter, on a alors décidé de digitaliser tous nos événements en 2021.

On a fait alors notre deuxième symposium : une journée de conférences dédiées aux chercheurs soutenus par Game in Lab. Ils ont présenté lors d’une journée leur état d’avancement sur les projets scientifiques soutenus. Cela a permis d’avoir une mise en évidence des projets financés jusqu’alors.

Et on a initié un cycle de conférences. L’idée était d’avoir plusieurs événements à travers le monde et au cours de l’année 2021, sur un seul et même sujet qui est le jeu de rôle et comment le jeu de rôle est peut-être perçu (et peut être vu) sous des prismes différents selon les communautés et les utilisateurs.

En France, au moment de la semaine du cerveau, on a fait deux événements sur le jeu de rôle et la création, ainsi que sur le jeu de rôle et la remédiation psychologique. Au Canada, on a parlé du jeu de rôle, de la représentation et de l’inclusion. Au Japon, on a pu travailler sur la digitalisation du jeu de rôle. Nous sommes passé également par l’Angleterre où on a parlé de jeu de rôle et de l’histoire, et du lien entre jeux de rôle et les représentations horrifiques et les cultes avec cette même ligne directrice.

Nos partenaires avec lesquels on a travaillé sur les événements nous ont permis d’avoir des orientations et des spécificités, des singularités là-dessus, donc ça a vraiment permis à ce que ce cycle couvre différentes thématiques, différents axes, mais toujours reliés au jeu de rôle. Et ça nous a permis de nous ouvrir à l’international très vite en matière de communauté. On a pu avoir des événements en anglais, en italien, en brésilien, en japonais. Donc, c’est vrai que ça permet de créer une dynamique avec ces différentes communautés locales pouvant interagir les uns avec les autres permettant ainsi d’avoir ce rayonnement communautaire. J’ai envie de dire que surtout la digitalisation nous a permis de faciliter en matière logistique l’organisation de ces événements. Donc, je pense qu’on a réussi à s’adapter et à optimiser nos évènements en période de crise sanitaire pour justement communiquer de la meilleure façon possible. Et ce qui nous donne des idées pour trouver une solution hybride concernant la suite en 2022.

Alors, pour terminer sur ce qui nous intéresse tout particulièrement : l’apprentissage et la pédagogie. Avez-vous financé ou participé à des travaux qui porteraient sur l’utilisation des jeux de société dans le cadre scolaire où l’apprentissage de manière plus générale ?

La réponse est oui : sur l’ensemble des projets sélectionnés aujourd’hui, il y a pas mal de sujets qui s’intéressent à des questions du domaine éducatif. Est-ce que les jeux permettent le développement de fonctions cognitives et favorisent un meilleur apprentissage scolaire ? Est-ce que des jeux spécifiques permettent des apprentissages singuliers, notamment sur des thématiques de science ou sur des thématiques d’écologie ?

Et non, ce n’est pas le but de Game in Lab d’aller forcément vers le monde de l’éducation ou de la pédagogie, mais on voit une certaine forme de porosité étant donné les thématiques traitées par les sujets de recherche. Donc, je pense que Game in Lab va pouvoir apporter des données scientifiques sur les effets du jeu et peut-être influencer ou donner des arguments pour les personnes qui réfléchissent à l’utilisation du jeu dans un contexte plus pédagogique.

Cela étant, il y a toujours ce débat entre jeu et apprentissage. Est-ce c’est simplement une nouvelle méthode éducative ? Est-ce qu’il y a vraiment des valeurs au sein même des mécanismes de jeu qui permettent un apprentissage ? Pour moi, aujourd’hui, c’est toujours à expliciter, à débattre. Je suis pour qu’il y ait des projets de recherche qui l’expérimentent. Mais est ce qu’aujourd’hui on peut statuer clairement sur un effet singulier, majeur ? Pour moi, il manque encore des données et ce sont peut-être ces données-là que certains projets du Game in lab vont apporter.

Game in lab n’est pas forcément là pour s’adresser aux enseignants et au monde de l’éducation. Donc, même si comme j’ai déjà pu le dire il y a une certaine forme de porosité où les éléments vont venir nourrir des réflexions, je pense qu’il y a tout un projet à monter sur ce sujet, sur comment le jeu peut être utilisé, comment il doit être utilisé dans un contexte éducatif. De mon point de vue, on sent qu’il y a un attrait pour essayer de développer un dogme sur l’utilisation du jeu d’un point de vue éducatif. Mais il manque encore quelques billes ou quelques éclaircissements pour pouvoir réellement statuer et définir des actions concrètes.

Comment nos lecteurs pourraient en savoir plus sur le Game In lab ?

Nous avons un site internet, une page Facebook, un twitter très actif et également un Instagram. Et on a vraiment envie de développer aussi un discord. On l’a utilisé sur différents événements en tant que plateforme communautaire pour aller plus loin dans les échanges pendant nos événements. Et là, on a vraiment la volonté de tout centraliser, de pouvoir avoir une plateforme qui soit fluide pour n’importe qui : que ce soit un chercheur qui ait envie de parler de ses recherches, un professionnel qui a envie de trouver un réseau pour répondre à une question lors d’un projet qui pourrait avoir, ou simplement quelqu’un qui serait passionné par un sujet et qui voudrait interagir avec les chercheurs ou les professionnels de ce sujet. C’est l’ambition qu’on a à travers le discord du Gaming Lab. On est en pleine réflexion sur comment le structurer, comment le mettre en place. Ça, ça fait partie aussi de nos objectifs pour notre cycle 2022. C’est de pouvoir avoir cette plateforme réfléchie et structurée pour répondre à toutes ces attentes.

Merci Mikael pour ta participation à cette première interview Sydologie !

Avec plaisir !


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Youri Minne

  • Doctorant en psychologie cognitive

Apprendre des connaissances c’est bien. Mais les transmettre, c’est encore mieux ! Ayant toujours été passionné par l’apprentissage durant mon cursus de psychologie, j’ai la chance d’écrire des articles de vulgarisation sur des théories scientifiques. J’espère ainsi, au travers de mes articles, transmettre mes connaissances avec la même passion qui m’animait lors de la découverte de celles-ci.

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