Il est 18h30. Vous deviez rédiger un rapport, mais vous rangez vos mails ou nettoyez votre grille-pain. Bref, vous procrastinez.
Ce phénomène universel et frustrant interroge les neurosciences depuis des années : que se passe-t-il réellement dans notre cerveau lorsque nous repoussons une tâche importante ? Est-ce seulement une question de volonté ? Spoiler : pas vraiment.
Qu’est-ce que la procrastination, et pourquoi le cerveau la favorise-t-il ?
La procrastination, ce n’est pas “ne rien faire”. C’est remplacer volontairement une tâche importante (comme renseigner ses heures ou rédiger un article) par une autre (ranger ses mails), souvent anodine mais gratifiante, tout en sachant que cela aura des conséquences négatives.
Ce comportement d’évitement touche environ 20 % de la population de manière chronique. Vous aussi vous avez l’impression que le pourcentage est plus élevé dans votre entourage proche ?
Les zones cérébrales impliquées dans la procrastination
Grâce à l’IRMf et à d’autres outils d’imagerie, les neuroscientifiques ont pu cartographier les régions cérébrales activées (ou sous-activées) lors des phases de procrastination :
– Cortex préfrontal dorsolatéral : est essentiel pour résister aux distractions et prendre des décisions orientées vers un but. En cas de procrastination, cette zone est moins active, affaiblissant la capacité à passer à l’action malgré l’intention.
– Cortex cingulaire antérieur : impliqué dans la détection des conflits internes, par exemple entre ce que l’on veut faire (se détendre) et ce que l’on doit faire (travailler). Il agit comme un système d’alerte signalant cette contradiction. Mais si les autres régions (comme le cortex préfrontal) ne prennent pas le relais, cette alerte reste sans effet… et la procrastination l’emporte.
– Amygdale : c’est une structure clé du cerveau émotionnel. Elle réagit fortement aux signaux de stress, d’anxiété ou de peur liés à une tâche perçue comme désagréable ou risquée. Chez les procrastinateurs, cette suractivation peut pousser à éviter l’action pour soulager l’inconfort émotionnel à court terme.
– Striatum ventral : il est impliqué dans le plaisir et la recherche de gratification immédiate. C’est une structure clé du système dopaminergique : il s’active lorsqu’on anticipe une récompense, en libérant de la dopamine, le neurotransmetteur associé à la motivation, au plaisir et à l’apprentissage par renforcement. Il entre alors en conflit avec les régions rationnelles du cerveau, comme le cortex préfrontal. Résultat : on cède à l’envie (regarder son téléphone), au détriment des objectifs à long terme.
En bref : la procrastination, c’est un déséquilibre entre le cerveau rationnel (préfrontal) et émotionnel (limbique). Quand le stress ou la recherche de plaisir prennent le dessus, l’action se bloque
Procrastination : un moyen de réguler nos émotions
Contrairement à ce qu’on pense, la procrastination n’est pas un problème de gestion du temps… mais surtout un problème de gestion des émotions.
Selon Sirois & Pychyl (2016), la procrastination serait une stratégie d’autorégulation émotionnelle : éviter une tâche désagréable pour soulager une émotion négative. Ce répit à court terme se paie d’un décalage avec les objectifs à long terme, créant un cercle vicieux.
C’est ce qu’on appelle une stratégie d’évitement émotionnel à court terme, qui finit par générer… plus d’émotions négatives.
Ce que disent les neurosciences sur le cerveau procrastinateur
Les neurosciences commencent à expliquer pourquoi certaines personnes procrastinent davantage que d’autres, en identifiant des différences dans la structure et le fonctionnement de leur cerveau. Trois grandes observations émergent :
– un cortex préfrontal moins développé : les procrastinateurs chroniques présentent un volume réduit de matière grise dans cette zone clé du contrôle exécutif, ce qui limite leur capacité à planifier et à résister aux distractions (Zhang et al., 2016).
– une amygdale plus réactive : cette structure émotionnelle est plus active face à la perspective d’une tâche désagréable, ce qui génère un stress que l’on cherche à fuir.
– une connectivité affaiblie entre les régions rationnelles et émotionnelles : ce déficit de communication rend plus difficile la régulation des impulsions et le passage à l’action.
Autrement dit, le cerveau procrastinateur peine à arbitrer entre raison et émotion, au profit du soulagement immédiat.
Comment reprogrammer son cerveau pour moins procrastiner ?
Bonne nouvelle : la procrastination n’est pas une fatalité. C’est un réflexe cérébral… que l’on peut reprogrammer. Voici quelques stratégies validées par la recherche pour reprendre le dessus :
– Décomposer la tâche en micro-étapes : une to-do list version puzzle. Cela réduit l’anxiété d’entrée et mobilise l’effet Zeigarnik : un rapport de 20 pages, c’est décourageant. Une phrase d’intro ou une diapo à relire, c’est jouable. En activant l’effet Zeigarnik, on crée une “tension mentale” qui pousse le cerveau à vouloir terminer ce qui a été entamé.
– Lancer le compte à rebours des 5 minutes : “Je m’y mets juste 5 minutes.” Ce mécanisme repose sur l’idée qu’un mini-passage à l’action peut relancer le circuit motivationnel et engager le cerveau dans la tâche, via l’activation du cortex préfrontal… et parfois non. Mais 5 minutes, c’est déjà 5 de plus que zéro.
– Renforcer le cortex préfrontal : méditation, régulation émotionnelle ou bon sommeil aident à mieux gérer les conflits internes et à favoriser le passage à l’action. Autrement dit, on muscle le cerveau pour qu’il résiste mieux à l’envie de fuir la tâche… plutôt que de multiplier les to-do lists jamais ouvertes.
– Saboter son propre sabotage : réduire les sources de distraction (notifications, onglets ouverts, chats mignons, etc.) permet de court-circuiter le striatum, cette zone du cerveau avide de dopamine rapide. Il anticipe les récompenses immédiates et pousse à cliquer plutôt qu’à se concentrer. Moins il est stimulé, plus le cortex préfrontal peut reprendre les commandes.
Conclusion : cerveau, émotion et sabotage intérieur
La procrastination n’est ni une faiblesse morale, ni un manque de discipline. C’est un déséquilibre temporaire entre motivation, émotion et décision — un court-circuit rééducable.
Apprendre à mieux se connaître, à réguler ses émotions et à ritualiser l’action : autant de clés pour éviter que le cerveau limbique ne tire le frein à main pendant que le cortex préfrontal appuie sur l’accélérateur.
On se retrouve dans les prochaines semaines pour percer un nouveau mystère cognitif !
Pour aller plus loin
– Épisode 1 – Que fait le cerveau pendant que l’on dort ?
– Épisode 2 – Qu’est-ce qui se passe dans notre cerveau… quand on a une sensation de “déjà vu” ?
– Pychyl & Sirois (2016) – Procrastination, Emotion Regulation, and Well-being
– Scientific American – Why Your Brain Loves Procrastination
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