Il y a quelques semaines, je vous expliquais ce qui se passe dans notre cerveau quand on dort. Aujourd’hui, nous allons nous pencher sur le phénomène mystérieux appelé « le déjà vu ».
Vous êtes en train de discuter avec quelqu’un, dans un bar qui vient d’ouvrir… Et, soudain, cette scène vous paraît étrangement familière, comme si vous l’aviez déjà vécue… Vous êtes saisi par une sorte de vertige accompagné d’un sentiment troublant de pouvoir deviner ce qui va se passer dans les secondes qui suivent. Bienvenue dans le phénomène fascinant du “déjà vu”.
Mais qu’est-ce que c’est exactement ? Et surtout, que se passe-t-il dans notre cerveau à cet instant précis ?
Explorons ensemble quelques théories neuroscientifiques sur ce phénomène difficilement saisissable, ce bug dans la matrice de notre perception.

Qu’est-ce qu’un “déjà vu” ?
Le “déjà vu” (à dire avec un accent anglais moyen) est une illusion de familiarité. Il s’agit de la sensation de vivre une scène que l’on pense avoir déjà vécue, alors que ce n’est objectivement pas le cas.
Selon les études, environ 60 à 80 % des personnes rapportent avoir déjà vécu cette expérience, généralement entre 15 et 25 ans — une période où les circuits cérébraux responsables de la mémoire sont les plus actifs.
“Déjà vu” et cerveau : les zones impliquées
Des recherches en neuroimagerie (IRM, électroencéphalogramme, etc.) ont permis d’identifier certaines régions cérébrales impliquées dans ce phénomène :
– Le cortex rhinal : impliqué dans la reconnaissance de familiarité.
– L’hippocampe : centre clé de la mémoire épisodique, c’est-à-dire la mémoire de nos souvenirs personnels. Il encode et rejoue les souvenirs épisodiques.
– Le cortex temporal médian : intégrateur d’informations mnésiques (objets, lieux, émotions), c’est une région qui aide le cerveau à rassembler et organiser les informations liées à la mémoire avant leur enregistrement.
– Le cortex préfrontal : mobilisé lorsqu’un conflit est détecté entre familiarité et nouveauté, il est une sorte de système de détection d’erreur.
– Ces régions dialoguent en permanence pour évaluer ce que nous vivons : est-ce nouveau ? Est-ce déjà arrivé ? Et parfois… elles se contredisent.
Les grandes hypothèses scientifiques sur le “déjà vu” et le cerveau
Un bug de synchronisation entre mémoire et perception
L’hypothèse la plus répandue chez les neuroscientifiques est celle d’une désynchronisation temporaire entre deux circuits cérébraux :
– L’un qui traite l’expérience présente (perception),
– L’autre qui traite les souvenirs (mémoire épisodique).
Ainsi, notre cerveau interprète à tort une situation nouvelle comme familière, car l’information a été traitée deux fois dans un laps de temps très court, la première fois de façon inconsciente. Ce serait donc une faille dans le circuit de validation de la nouveauté.
Une erreur d’encodage mnésique
Une autre explication avance que le cerveau stocke un souvenir en même temps qu’il le perçoit dans la mémoire à long terme au lieu de la mémoire à court terme. Cela crée une sensation immédiate de “souvenir”, alors qu’il s’agit d’une expérience en train de se produire.
Un écho cérébral ou une boucle rétroactive
Une autre hypothèse propose que le “déjà vu” serait le résultat d’un bug temporel minuscule qui ferait que la même information serait transmise deux fois, avec un léger décalage de quelques millisecondes. Le cerveau recevrait donc deux versions presque identiques d’un même événement, la première étant perçue de manière incomplète.
Ce décalage créerait l’illusion d’une répétition : le second traitement est perçu comme un « souvenir », alors qu’il ne s’agit que d’une deuxième lecture du même signal. On parle d’“écho neuronal”.
Ce n’est pas une confusion avec un vrai souvenir passé, comme dans la première hypothèse, mais une duplication immédiate d’une même perception, qui donne l’illusion d’avoir déjà vécu la scène.
Le rôle des souvenirs flous et de la mémoire implicite
Il se pourrait aussi que le “déjà vu” soit lié à la mémoire implicite (mémoire automatique et inconsciente, sans effort volontaire ni souvenir précis) : des lieux, formes ou sons déjà perçus autrefois pourraient activer des circuits de reconnaissance sans que nous en ayons conscience.
Par exemple, un lieu inconnu pourrait ressembler structurellement à un autre déjà vu. Le cerveau reconnaît inconsciemment des patterns familiers… et déclenche une alarme de “familiarité non justifiée”.
“Déjà vu” et rêves : une piste intrigante
Une autre théorie suggère que le “déjà vu” pourrait être lié à des rêves oubliés. Il est possible qu’un décor, une scène ou un visage aient été rêvés des jours ou des semaines auparavant, puis complètement effacés de la mémoire consciente… jusqu’à ce qu’un élément réel ravive cette trace floue.
Le cerveau, n’arrivant pas à localiser la source du souvenir, projette la sensation de familiarité sur le présent.
Et si le “déjà vu” était une mini-crise d’épilepsie ?
Chez certaines personnes atteintes d’épilepsie, le “déjà vu” est un symptôme fréquent et annonciateur de crise. Il est alors provoqué par une activation anormale de l’hippocampe et des structures voisines, qui génère cette illusion de familiarité.
À noter : le phénomène n’est pas pathologique dans la majorité des cas. Il peut devenir préoccupant s’il est fréquent.
A noter aussi que le “déjà vu” survient plus souvent lorsque nous sommes fatigués, stressés, peu concentrés ou exposés à des environnements complexes. Ces états fragilisent nos mécanismes de traitement de l’information, favorisant les petits bugs de perception et de mémoire.
Conclusion : le “déjà vu”, un fascinant bug du cerveau
S’il est aujourd’hui difficile de trancher entre ces hypothèses, une chose est sûre : le “déjà vu” n’est pas un signe de folie, mais plutôt un bug d’un système cérébral extrêmement complexe, qui traite en temps réel des milliers d’informations à chaque instant.
Quand le prochain “déjà vu” arrivera, détendez-vous : ce n’est pas un bug dans la matrice, juste votre cerveau qui se joue un remake express de la scène !
Pour aller plus loin :
– Episode 1 – Que fait le cerveau pendant que l’on dort ?
– Les neuromythes sur l’apprentissage pendant le sommeil
– BBC Future – What causes déjà vu?
– Scientific American – Déjà vu and the Brain

