La production d’outils pédagogiques – l’IA et le droit d’auteur

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IA et outils pédagogiques

Nous avons co-rédigé une série d’articles sur l’IA et le droit d’auteur avec Clara Zlotykamien, experte en droit de la propriété intellectuelle, nouvelles technologies et intelligence artificielle, et précédemment avocate. Nous nous sommes notamment appuyés sur son blog et ses articles très riches d’enseignements, que vous retrouverez ici, ainsi que sur ses publications LinkedIn. Voici le troisième article de cette série.
 
Après avoir posé les bases du droit d’auteur et exploré ses impacts concrets dans la production d’e-learning, nous allons désormais nous pencher sur des questions clés en lien avec ces thématiques et l’intelligence artificielle (IA).
 
En effet, si l’IA offre des opportunités sans précédent, notamment pour aider à la production d’outils pédagogiques, elle soulève également de nombreuses questions juridiques. Nous allons alors passer en revue certaines de ces questions dans notre article.
 

Un contenu généré par IA est-il protégé par des droits d’auteur ?

 
Nous allons commencer par répondre à une question que beaucoup d’entre vous doivent se poser : qui détient les droits d’auteur sur un contenu généré par une IA ? Est-ce la personne qui a rédigé le prompt (vous) ? La société qui a développé cette IA ? L’IA elle-même ? Personne ?
 
Pour répondre à cette question, il faut repartir des conditions à remplir pour qu’une création puisse être protégée par le droit d’auteur, que nous avions déjà appréhendées dans notre premier article :
 
1. Il doit tout d’abord s’agit d’une œuvre de l’esprit matérialisée
 
2. Et celle-ci doit être originale (et c’est là où le bât blesse, comme nous allons le voir)
 

Droit d'auteur conditions

 
Legal design créé par Clara Zlotykamien
 
La condition d’originalité, qui est centrale dans l’application du droit d’auteur, est définie comme « l’empreinte de la personnalité de l’auteur » ou encore la capacité à faire des « choix libres et créatifs ». Mais, par essence, une IA ne possède pas l’autonomie nécessaire afin d’effectuer des « choix libres et créatifs », ni refléter∂ une quelconque « empreinte de personnalité ». L’IA se limite en effet à produire un contenu répondant aux instructions fournies par un humain via un prompt, en s’appuyant sur sa programmation et son entraînement, puisqu’elle est conçue pour accomplir une tâche précise.
 
De plus, seule une personne physique peut être auteur d’une création protégée par des droits d’auteur. Une IA ne peut donc pas bénéficier d’une telle qualité ! Et sans auteur, pas d’« empreinte de la personnalité de l’auteur », donc pas d’originalité, et donc… pas de droits d’auteur ! Et oui, contrairement à un humain ou à une société par exemple (qui, elle, est une personne morale), une IA ne dispose pas de la personnalité juridique.
 
Ainsi, en l’état actuel du droit français, un contenu généré par IA n’est pas protégé par des droits d’auteur. Une nuance semble néanmoins exister concernant les contenus créés par IA puis ensuite modifiés par l’Homme (contenus assistés par IA). Si des modifications humaines importantes sont apportées, elles pourraient permettre de caractériser une certaine originalité, et donc potentiellement des droits d’auteur. C’est ce qu’ont admis les juges chinois pour la première fois dans une décision de novembre 2023. En France, aucune décision similaire n’a encore été rendue, et la question reste à suivre !
 

Une IA peut-elle s’entraîner sur des créations protégées par le droit d’auteur ?

 
Notre première question étant désormais évacuée, intéressons-nous maintenant au respect (ou non-respect) du droit d’auteur lors de l’entraînement d’une IA.
 

IA


 
Legal design créé par Clara Zlotykamien
 
Pour apprendre à générer des contenus, une IA est entraînée grâce à une multitude de données, parmi lesquelles peuvent se trouver des œuvres préexistantes protégées par des droits d’auteur.
 
La question qui se pose est alors la suivante : est-il possible d’utiliser librement des œuvres protégées par le droit d’auteur afin d’entraîner d’une IA ? Cela revient alors à se demander si les droits d’auteur qui protègent les créations (utilisées par l’IA lors de son entraînement) sont bien respectés à ce stade.
 

La nécessité d’une autorisation

 
Par principe, une autorisation est toujours nécessaire afin d’exploiter une création protégée par des droits d’auteur, sauf en cas d’exception légalement prévue. Il semblerait pourtant que cette obligation ne soit (presque) jamais respectée.
 
Quand on sait que l’entraînement des IA repose souvent sur le siphonnage massif d’internet, sans aucune transparence sur les œuvres utilisées, il paraît très difficile d’imaginer que les droits d’auteur sont respectés. Cette situation pose de véritables problèmes pour les titulaires de droits, et on observe déjà plusieurs actions en justice à travers le monde sur le sujet !
 
Heureusement, le récent Règlement sur l’IA introduit de nouvelles obligations, notamment en matière de respect du droit d’auteur et de transparence, qui devraient (on l’espère) faire bouger les choses !
 

Exception de fouille de textes et de données (TDM) et droit d’opt-out

 
L’Union Européenne a introduit une exception spécifique : l’exception de fouille de textes et de données (text and data mining en anglais, ou TDM). Issue d’une Directive de l’Union Européenne de 2019 et transposée dans le Code de la propriété intellectuelle (articles L. 122-5 10° et L. 122-5-3), elle permet, sous certaines conditions, de reproduire des créations protégées par le droit d’auteur sans autorisation. Ces conditions incluent un accès licite à la création, ainsi que l’absence d’une opposition (droit d’opt-out) de la part de l’auteur.
 
Cette exception n’est donc pas absolue, puisque les auteurs ont en principe la possibilité de s’y opposer en exerçant leur fameux droit d’opt out.
 
L’exercice de ce droit d’opt out peut être effectué par tout moyen, et le Code de la propriété intellectuelle précise que « dans le cas de contenus mis à la disposition du public en ligne, cette opposition peut notamment être exprimée au moyen de procédés lisibles par machine, y compris des métadonnées, et par le recours à des conditions générales d’utilisation d’un site internet ou d’un service ». La SACEM a par exemple déjà eu l’occasion d’exprimer son droit d’opt out au nom de ses adhérents.
 
En pratique, il peut néanmoins être complexe d’exercer effectivement ce droit d’opt out, et de le faire respecter. De plus, une fois l’opt out exercé, comment s’assurer que la création n’a réellement pas été exploitée ? Espérons que tout ceci devienne moins opaque avec les nouvelles mesures de transparence du Règlement sur l’IA.
 

Et si j’utilise l’IA pour produire des outils pédagogiques ?

 
Après avoir traité la question de la protection (ou non) des contenus générés par IA, et du droit d’exploiter (ou non) des créations protégées pour entraîner une IA, intéressons-nous maintenant à l’utilisation de l’IA pour la création de vos propres formations !
 
De manière générale, et vous l’avez bien compris maintenant, il est toujours impératif de respecter les droits d’auteur des tiers lorsque vous créez des formations. Et cela vaut évidemment lorsque l’IA entre en jeu !
 
Si vous utilisez une IA pour créer des outils pédagogiques dont vous vous servez ensuite dans une formation, alors soyez vigilant. Ce contenu pourrait reproduire, en tout ou partie, des éléments protégés par le droit d’auteur. En effet, pour répondre à vos demandes (prompts), l’IA pourrait exploiter des créations protégées, qui peuvent alors apparaître plus ou moins explicitement dans le contenu généré. Il faut alors être précautionneux pour éviter tout risque de contrefaçon.
 

Quelles bonnes pratiques mettre en œuvre quand j’utilise l’IA pour produire des outils pédagogiques ?

 
L’utilisation de l’IA, notamment dans le cadre de votre activité de concepteur de formations, nécessite alors de prendre en compte différents aspects juridiques. Voici quelques bonnes pratiques que vous pouvez adopter lors de votre utilisation de l’IA, afin de minimiser les risques éventuels :
 
1. Tentez d’opter pour des outils d’IA respectueux des droits d’auteur : vous pouvez trouver certaines informations à ce sujet dans les conditions générales d’utilisation ou les licences mises à disposition sur la plateforme d’IA. Mais il n’est pas toujours évident de les décrypter, ni d’être totalement certain de leur fiabilité quant au respect des droits d’auteur.
 
2. Ne reprenez pas le contenu généré « tel quel » : plus vous transformez le contenu généré pour l’adapter, en y apportant votre propre créativité au travers de modifications substantielles, plus vous minimisez les risques de contrefaçon (et puis, c’est quand même mieux quand l’IA est un simple outil d’aide à la création de contenus, plus qu’un remplaçant !).
 
3. Documentez vos étapes : n’hésitez pas à garder une trace de votre travail et des modifications que vous avez pu apporter au contenu initialement généré par IA. Cela pourrait vous permettre, si besoin, de prouver votre apport humain et vos transformations personnelles.
 
4. Soyez toujours transparent : n’hésitez surtout pas à mentionner explicitement que vous avez utilisé une IA pour vous aider à réaliser certains contenus. Cela pourrait s’avérer d’autant plus essentiel, notamment en cas de commande destinée à un client, afin de garantir une direction commune sur l’utilisation de l’IA dans le cadre de votre mission.
 
5. Mettez en place une charte interne : que vous travailliez seul ou en équipe, il peut être très intéressant de (co)rédiger une charte établissant les règles et bonnes pratiques à respecter lorsque vous faites usage de l’IA. Cela pourrait alors vous permettre d’avoir un cadre clair et commun, et d’être certain de « bien faire les choses ».
 
6. Tenez-vous à jour de vos obligations légales : La réglementation en matière d’IA, notamment le Règlement sur l’IA (mais pas uniquement), nécessitera une prise en compte effective de votre part, notamment en ce qui concerne la transparence. Veillez à rester informé de vos obligations et n’hésitez pas à vous former ou encore à consulter un avocat spécialisé pour bénéficier de conseils juridiques adaptés à votre situation.
 

Et quid des données personnelles ?

 
L’utilisation d’une IA soulève également des questions liées à la protection des données personnelles. Par exemple, si vous exploitez des données personnelles d’apprenants ou d’autres personnes pour personnaliser vos prompts, il est essentiel de respecter les règles prévues par le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données). Cela inclut, entre autres, l’obligation d’obtenir le consentement explicite des personnes concernées et d’assurer la sécurité des données collectées.
 
À vrai dire, le sujet des données personnelles dans le cadre de l’exploitation de l’IA, notamment pour la production de formations, est particulièrement vaste et mériterait une série d’articles à lui seul. N’hésitez pas à vous sensibiliser à ces notions-là, et à faire preuve de prudence !
 

Production d’outils pédagogiques avec l’IA : restez vigilant

 
Si l’IA constitue une avancée majeure dans la production d’outils pédagogiques, elle implique également une responsabilisation et une vigilance accrues, notamment pour respecter le droit d’auteur. Dans notre prochain épisode, nous nous pencherons sur certaines évolutions juridiques provoquées par l’IA, notamment au travers du Règlement sur l’IA… À très bientôt !
 

Clara Zlotykamien

A propos de Clara Zlotykamien

Précédemment avocate, Clara est experte en droit de la propriété intellectuelle, nouvelles technologies et intelligence artificielle. Animée par la volonté de rendre le droit accessible à tous, elle dispense aujourd’hui des formations auprès de professionnels ainsi que des cours dans diverses écoles supérieures.
 

Illustration réalisée via Dall-E.


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Aymeric Debrun

  • Diplômé de Sciences Po Lyon – Master Coopération internationale et aide au développement

Découvrir un domaine inconnu, une nouvelle idée, une information ignorée. Se mettre à lire, étudier, analyser, comprendre. Puis approfondir, creuser, se passionner. Et enfin intriguer, intéresser, expliquer, transmettre. Et recommencer.

Un chemin maintes et maintes fois parcouru aussi bien dans ma vie personnelle qu’étudiante. Chez Sydo, j’ai trouvé un travail pour continuer à l’arpenter et faire de ce chemin… un schéma pédagogique.

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