PEDAGOGO #44 – MIKHAÏL BAKOUNINE

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Chaque lundi, nous vous proposons de voyager dans l’Histoire de la pédagogie, à travers les portraits des plus grand.e.s pédagogues et théoricien.e.s qui ont influencé nos modèles contemporains.
 

Mikhaïl Bakounine, c’est qui ?!

 

 
Né le 18 mai 1814 à Priamoukhino, dans l’Empire russe, et mort à Berne le 1er juillet 1876, Mikhaïl Bakounine est un révolutionnaire anarchiste, un philosophe mais aussi un théoricien de l’éducation libertaire.
 
Il grandit dans un milieu aristocratique et vit dans le domaine familial où il reçoit une éducation par des précepteurs allemands et français jusqu’à ses 14 ans, avant d’être envoyé à l’École d’Artillerie de Saint-Pétersbourg. À 18 ans, il renonce à la carrière militaire souhaitée par son père et se plonge alors à corps perdu dans la philosophie allemande en découvrant Kant, Schelling, Fichte et Hegel notamment.
 
Il quitte en 1840 la Russie pour rejoindre Berlin, continuer ses études de philosophie mais aussi tenter de se défaire de son statut de fils de nobles. Il se radicalise progressivement en Allemagne par le biais de ses fréquentations, notamment à Dresde, et de la lecture de penseurs socialistes français (Fourier ou Proudhon par exemple). Celles-ci l’amènent petit à petit à rejeter la philosophie, entendue comme activité théorique, pour épouser la pratique et l’action en se rapprochant des mouvements socialistes et communistes.
 
Il continue alors son tour d’Europe, et rejoint successivement la Suisse, la Belgique et la France, où il rencontre Proudhon et participe à la révolution de février 1848 et plus globalement au “Printemps des peuples”. Dans le cadre de ce “Printemps des peuples”, il voyage en Allemagne ou à Prague afin de lutter contre les régimes qu’ils voient comme oppressifs et se battre aux côtés des révolutionnaires de tout pays.
 
Plusieurs fois condamné à mort pour ses engagements, il est finalement extradé par le pouvoir tsariste et Nicolas Ier et envoyé en Sibérie. Il parvient à s’enfuir et continue son tour du monde en rejoignant le Japon, puis les Etats-Unis et l’Angleterre où il rencontre à Londres Karl Marx et Friedrich Engels (il traduit même pour la première fois le Manifeste du parti communiste en russe).
 
Il continue son combat pour la libération des peuples (slaves) de l’oppression depuis Stockholm, Florence, Paris ou la Suisse notamment en collaborant avec l’Association internationale des travailleurs (AIT). Il s’engage encore dans quelques luttes révolutionnaires en France lors de la guerre franco-prussienne de 1870 avec un début de soulèvement à Lyon qui préfigurera la Commune de Paris, mais aussi en Italie, à Bologne.
 
Il finit sa vie en Suisse, éreinté par sa participation à diverses révolutions et ses différentes peines de prison, et ruiné.
 
Bakounine est ainsi davantage un homme d’action, un révolutionnaire passé professionnel, qu’un réel philosophe. Dédiant sa vie à l’action, il n’a d’ailleurs pas réellement écrit de livres à proprement parler, mais seulement un ensemble de textes écrits dans la précipitation, rarement terminés.
 

Et Mikhaïl Bakounine, quelles sont ses idées ?

 
Bakounine est avant tout en quête de liberté, entendue comme la possibilité réelle de développer ses facultés (liberté positive) et une volonté totalement indépendante vis-à-vis de celle d’autrui (liberté négative).
 
Dans sa quête de liberté, Bakounine a développé une pensée politique très claire et cohérente, notamment concernant ce qu’il appelle l’instruction. Pour lui, le degré de liberté d’un individu, d’une classe ou d’un peuple se mesure au niveau de l’instruction de celui-ci, et surtout de sa généralisation : « Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m’entourent, hommes et femmes, sont également libres ».
 
Pour Bakounine, l’instruction doit avoir pour objectif de libérer l’individu, de l’émanciper, et ce, dans un cadre respectant la liberté de l’apprenant. Et cette instruction doit concerner tout le monde afin que chacun soit libre. En effet, d’après lui : « La liberté d’autrui, loin d’être une limite ou la négation de ma liberté, en est au contraire la condition ».
 
Bakounine voit le savoir comme une arme dont sont dépourvues les classes les plus modestes, car jalousement gardée par les milieux bourgeois. D’après lui, s’il y a une inégale maîtrise des savoirs (et donc une inégale liberté des individus), ce n’est pas lié à une différence d’aptitudes naturelles des individus mais à un inégal accès à une véritable instruction globale du fait d’une différence d’extraction socio-économique : c’est une conséquence sociale.
 
Pour lui, c’est cet accès inégal à l’instruction qui conduit au maintien d’une société de classes et à l’exploitation des plus pauvres, et qui sert à justifier l’existence de la représentation politique : les citoyens lambda sont assez compétents pour élire mais pas assez instruits pour être eux-mêmes élus ou pour fonctionner en démocratie directe. Bakounine se bat donc contre la confiscation du pouvoir politique par les élites bourgeoises en vantant les vertus de l’intelligence collective émergeant de cette démocratie directe.
 
L’avènement d’une école permettant l’instruction générale de tous est donc à la fois la fin et le moyen d’un véritable changement de société.
 
Bakounine insiste également sur la nécessité d’une instruction générale, intégrale, plutôt qu’une “simple instruction” qui conforterait le système en place. Cette instruction doit être égale pour tous afin que chaque enfant, quel que soit son sexe, soit préparé à devenir un adulte complet, c’est-à-dire libre, autonome, et capable de travailler avec sa tête comme avec ses mains grâce à un “enseignement industriel ou pratique à côté de l’enseignement scientifique ou théorique”.
 
Pour lui, l’inégale maîtrise des compétences intellectuelles qui caractérise le système actuel a pour conséquence socio-économique la division du travail et des fonctions sociales différentes entre intellectuels (bourgeois) et manuels (prolétaires). L’abolition des classes, et le plein épanouissement de tout individu, passera nécessairement par la non-division entre enseignement manuel et intellectuel.
 
Ces deux enseignements doivent être menés conjointement, sans hiérarchie, l’un permettant de compléter et renforcer l’autre : “chacune de ces deux activités, musculaire et nerveuse, doit être également développée, et que, loin de se nuire mutuellement, chacune doit appuyer, élargir et renforcer l’autre ; la science du savant deviendra plus féconde, plus utile et plus large quand le savant n’ignorera plus le travail manuel, et le travail de l’ouvrier instruit sera plus intelligent et par conséquent plus productif que celui de l’ouvrier ignorant.” Ainsi, dans l’intérêt de tous, il ne doit plus y avoir ni ouvrier ni savant mais simplement des hommes complets, donc libres.
 
Pour Bakounine, la société n’a ni de droit ni de raison de fournir une instruction différenciée ou de déterminer la carrière future des enfants, et doit au contraire fournir à chacun d’eux une instruction absolument égale donc intégrale.
 
L’instruction intégrale n’exclut pas l’existence de spécialisations et de carrières professionnelles différenciées, car la diversité est indispensable à une société libertaire. Cependant, l’instruction intégrale doit être généralisée à toute l’enfance et jusqu’à l’adolescence, période à laquelle chaque adolescent pourra faire ses choix selon ses goûts ou ses dispositions et ce, de manière libre et responsable. Pour Bakounine, il est essentiel de laisser aux adolescents la possibilité de se tromper de manière libre et donc d’apprendre de leurs erreurs : “Les enfants, comme les hommes mûrs, ne deviennent sages que par les expériences qu’ils font eux-mêmes, jamais par celles d’autrui”.
 
Mais comment instruire les enfants ? Comment leur permettre de devenir libres ? Selon Bakounine, seule une société réellement libre peut assurer une formation émancipatrice. Cependant, et c’est là que les choses se compliquent, la société n’est PAS “libre” ; et les professeurs comme les savants (mais aussi les parents !), membres de cette société inégalitaire, contribuent donc à reproduire le schéma existant qui soumet les catégories les plus vulnérables.
 
Par ailleurs, les enseignants abusent de leur autorité et ne permettent pas aux enfants d’apprendre en liberté. Pour Bakounine, il faut que le peuple “s’émancipe d’abord, et il s’instruira de lui-même”. Aussi, c’est par le biais de leurs propres expérimentations que les enfants doivent apprendre, et non pas par le biais de la parole du maître. Ainsi, c’est grâce à la méthode scientifique et au raisonnement pur que les enfants peuvent s’émanciper du cadre existant (société inégalitaire, croyances religieuses, etc.).
 
Par bien des aspects, la pensée de Bakounine et les thèmes abordés sont très contemporains : rapports entre instruction et inégalités sociales, enseignement et liberté, inné et acquis, enseignement général ou spécialisé (s’orienter dès la 5ème, sérieusement ?), instruction manuelle ou intellectuelle, etc.
 

Quelques ouvrages (un) de Mikhaïl Bakounine à consulter :

– “L’instruction intégrale”, l’Égalité de Genève, 1869
 
 
 


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Aymeric Debrun

  • Diplômé de Sciences Po Lyon – Master Coopération internationale et aide au développement

Découvrir un domaine inconnu, une nouvelle idée, une information ignorée. Se mettre à lire, étudier, analyser, comprendre. Puis approfondir, creuser, se passionner. Et enfin intriguer, intéresser, expliquer, transmettre. Et recommencer.

Un chemin maintes et maintes fois parcouru aussi bien dans ma vie personnelle qu’étudiante. Chez Sydo, j’ai trouvé un travail pour continuer à l’arpenter et faire de ce chemin… un schéma pédagogique.

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