Chaque lundi, nous vous proposons de voyager dans l’Histoire de la pédagogie, à travers les portraits des plus grand.e.s pédagogues et théoricien.e.s qui ont influencé nos modèles contemporains.
Mohand Said Lechani, c’est qui ?!
Mohand Said Lechani est un instituteur, pédagogue, syndicaliste, militant politique et social algérien ainsi qu’un défenseur des droits de l’homme et un fervent avocat de la culture berbère. Il est né le 15 mai 1893 à Ait-Halli dans la commune d’Irdjen en Haute-Kabylie, en Algérie, et est décédé à Alger le 25 mai 1985.
Lechani fait face aux discriminations et à la violence de la colonisation dès son plus jeune âge, inspirant ses futures luttes pour la liberté et l’égalité de tous, notamment en matière d’éducation. Ainsi, il se voit imposer sa scolarisation dans une des premières écoles coloniales ouvertes dans le cadre de “la politique kabyle”. Il passe par la suite le « Certificat d’études indigène » puis intègre la “section indigène” de l’école normale de Bouzareah afin de devenir instituteur, école où la ségrégation entre les communautés européenne et locale est omniprésente. Bien qu’Algérien, il obtient le droit de passer le Certificat d’aptitude pédagogique en 1915, sous réserve d’accepter de rester dans le corps des « Instituteurs aux indigènes » et donc de n’enseigner qu’aux indigènes. Émergent alors ses premiers combats : dénoncer le sous-statut accordé aux instituteurs non-européens et lutter contre l’école à deux vitesses.
Rapidement, Lechani intègre la Ligue de défense des droits de l’homme et du citoyen et le Syndicat des instituteurs de France et des colonies, et adhère aussi dès 1912 à la Section français de l’internationale ouvrière (SFIO). Il cofonde ensuite la Voix des humbles en 1922, une revue des enseignants indigènes visant à promouvoir l’égalité entre les instituteurs et à lutter contre l’analphabétisme. Ainsi, pour lui, l’émancipation et la liberté passent nécessairement par l’éducation.
Il poursuit son engagement politique jusqu’au déclenchement de la guerre en Algérie : participation au Congrès Musulman d’Alger, co-création du journal anticolonialiste “Algérie républicain” et élection à l’assemblée de l’Union française. Son principal combat lors de ce mandat est la création de l’école unique pour tous sans distinction d’origine ou de religion, combat qu’il gagne en 1949.
Il participe aussi activement à la lutte pour l’indépendance, de façon directe en répondant à l’appel du FLN et en participant à la mission du Gouvernement provisoire de la République algérienne chargé des questions d’information et d’éducation depuis Rabat, mais aussi de façon indirecte en formant, en tant qu’instituteur assoiffé de liberté, bon nombre des cadres des indépendantistes.
Il devient conseiller pédagogique à l’élaboration du programme d’alphabétisation et de formation des maîtres en 1962. Il refuse le poste de Ministre de l’éducation proposé par Ben Bella afin de poursuivre son travail sur le terrain, notamment dans le cadre des Centres sociaux créés par Germaine Tillion.
Et Mohand Said Lechani, que retenir de son travail ?
Lechani est vue en Algérie comme l’une des principales figures pionnières du pays, notamment du fait de son engagement politique et social mais aussi du fait de son combat pour l’accès de tous à l’éducation, et surtout, à la même éducation.
Son engagement politico-social est indissociable de son œuvre et de ses actions pédagogiques. L’objectif est le même : l’émancipation de tous les Algériens par l’éducation des masses.
Féru de pédagogies nouvelles, il est fortement influencé dès ses premières années d’étude par les auteurs de l’éducation nouvelle que sont Decroly, Piaget (avec qui il entretient une correspondance), Montessori et Freinet, et applique ces méthodes novatrices sur le terrain en les adaptant au contexte colonial.
Pour lui, l’école doit être le lieu par excellence de lutte contre toute forme d’oppression et de discrimination grâce à la transmission de savoirs, de valeurs universelles et progressistes (tout en veillant à sauvegarder les particularités ethniques et régionales et notamment sa culture, la culture berbère).
Son intérêt pour le courant de l’éducation nouvelle dénote sa volonté de se défaire de la vieille pédagogie (et peut être mis en parallèle de sa lutte contre le système colonial et discriminatoire). Il entend dépoussiérer l’enseignement indigène imaginé par Jules Ferry en 1883 pour faire entrer son pays et ses habitants dans la modernité afin qu’ils accèdent à la liberté.
Dans ce cadre, il crée une méthode de lecture originale mêlant la lecture, l’écriture et le langage oral et importe l’imprimerie dans les classes algéroises afin de faire évoluer l’enseignement traditionnel.
Enfin, il est mu par la notion de liberté qu’il associe au langage et à l’apprentissage. Chaque élève doit acquérir des connaissances et pouvoir s’exprimer dans une langue émancipatrice (et non dans une langue qu’on le contraint à adopter, voire dans une langue volontairement appauvrie) afin de développer son libre-arbitre et sa liberté de penser.
Quelques ouvrages de Mohand Said Lechani à consulter :
– “Du bon usage de la pédagogie”, ouvrage composé de six textes portant sur l’enseignement
– “À la recherche d’une méthode rationnelle pour l’enseignement du français à l’école indigène”, dans son journal la Voix des Humbles
Un commentaire
Merci pour ce portrait, je ne le connaissais pas et surtout merci de nous rappeler ce qu’a été la colonisation : l’école oui, mais pas la même. Et aujourd’hui, que se passe-t-il en Algérie en matière d’éducation et de pédagogie ? où en est l’école en Algérie ? ce texte, mis en parallèle avec les parole de Kamel Daoud, m’a fait prendre conscience qu’on ne connait pas l’Algérie. On parle des systèmes éducatifs de bien des pays dans le monde, bien plus éloignés, mais jamais du Maghreb. Si quelqu’un sait où trouver de l’information, je suis preneuse.