Si la définition de l’expression « e-learning » se caractérise souvent par un flou, à tel point que deux interlocuteurs ayant l’impression de parler de la même chose en l’évoquant peuvent se rendre compte au fil de leur conversation qu’ils n’étaient pas du tout sur la même longueur d’onde (voir notre article sur ce sujet ici), il semble qu’on ait aussi un problème face à la définition d’un mot pourtant très simple : la formation.
Sens dessus dessous
En effet, aussi étrange que cela puisse paraître, ce que désigne le terme « formation » s’est peu à peu modifié – et cette évolution parait continuer insidieusement, programme après programme, catalogue après catalogue et proposition après proposition. Un peu comme le mot « politique », devenu au fil des dernières décennies synonyme de « joutes putassières d’attaques personnelles en 280 signes maximum ». Ces glissements sémantiques sont certes monnaie courante puisqu’ils sont une des marques que notre langue est bien vivante, et l’on ne compte plus les mots dont le sens s’est modifié, parfois évaporé voire inversé : on parle de glissements de sens. Il n’en reste pas moins que ces changements sont parfois regrettables, et qu’ils en disent toujours long sur le groupe qui les emploie.
J’enterre mon lapin
En fréquentant assidument le milieu de la formation professionnelle, on se rend vite compte que quelque chose ne tourne pas rond. Normalement, si l’on en croit le précieux Trésor de la Langue Française Informatisé (TLFI – je vous invite à vous perdre dans cet extraordinaire dictionnaire si vous n’en avez pas encore l’habitude), la formation, dans le contexte qui nous intéresse, c’est le :
Fait de développer les qualités, les facultés d’une personne, sur le plan physique, moral, intellectuel ou de lui faire acquérir un savoir dans un domaine particulier.
Et si je souligne, c’est que c’est là que le bât blesse. Car dans cette définition qu’on pourrait dire de référence, il y a bien une dimension active dans la formation de la part de celui qui forme. Le corollaire, c’est que le formé doit lui aussi se mettre au boulot pour acquérir quelque chose, c’est-à-dire l’assimiler, s’en imprégner, le posséder. A l’issue de la formation, le formé doit repartir (ou se déconnecter) avec quelque chose. Et le formateur doit avoir fourni un effort (avant, pendant, ou après, ou les 3, selon les cas).
Option « je m’en lave les mains »
Dès lors, le dévoiement saute aux yeux :
- expliquer quelque chose à quelqu’un, ce n’est pas de la formation
- envoyer un PDF à quelqu’un, ce n’est pas de la formation
- mettre des (tonnes de) documents (PowerPoint soporifiques) à disposition de quelqu’un, ce n’est pas de la formation
- parler (et seulement parler) à quelqu’un pendant toute une journée (en l’obligeant à regarder les PowerPoint soporifiques du point précédent), ce n’est pas de la formation
- montrer une (longue) vidéo à quelqu’un, ce n’est pas de la formation
Tout est devenu formation, tout le monde est formateur, donc tout le monde est formé. « T’as été formée à la démarche commerciale ? – Ouais, on nous a envoyé des docs » ; « C’était comment la formation ? – Ben on a regardé des vidéos ». Édifiant.
Pas rigolo
Ça n’a l’air de rien, c’est même plutôt cocasse… sauf que c’est peut-être un signe de la progressive disparition de la formation, ni plus ni moins. En se mettant à appeler formation tout et n’importe quoi et à considérer qu’on a été formé quand on a parlé avec un collaborateur un peu plus calé que nous (ah ! le « social learning » ©© ), on vide petit à petit le mot de sa substance, et l’on condamne du même coup la formation, la vraie, celle qui permet de s’entraîner, de faire des essais, des propositions, de se tromper, de manipuler, de partager pour, au final, véritablement acquérir un savoir, à disparaître. La tendance est dans l’air du temps : la formation coûte cher et prend du temps (ce qui revient au même), alors qu’envoyer des documents, c’est bon marché et c’est vite fait. On a qu’à dire que c’est la même chose, et le tour est joué : on fait des économies.
Prenons garde au sens des mots : ce n’est pas parce que le terme formation ne disparait pas que le concept qu’il désigne aura perduré et, si l’on n’y prend pas garde, la formation telle qu’on la conçoit – c’est-à-dire utile – risque de n’être rapidement plus qu’un bon souvenir.
NB : Qu’on me comprenne bien : si je prêche pour des formations qui rendent les apprenants véritablement acteurs, je n’utilise pas pour autant ce terme pour désigner les sessions d’accouchement collectif ex nihilo, vous savez, celles qui commencent par « bon, ce matin, vous allez vous mettre en groupe et réfléchir, et puis on fera une mise en commun cet après-midi » et finissent en eau de boudin.
Celles-ci, je les appelle des « stages IUFM » : ceux qui les ont fréquentés en même temps que moi s’en souviennent certainement.
Un commentaire
Bonsoir,
Votre analyse me parait tout à fait sensée et bien vue. j’ai apprécié ce texte.
Bien cordialement
Jean-Louis Vincent