La digression est le péché mignon du formateur. Il faut parvenir à s’en prémunir. Mais pourquoi ? Le formateur n’est-il pas celui qui doit guider les apprenants de ses paroles savantes, celui qui dit ce qu’il faut retenir, celui qui, finalement, sait tout sur tout ? Eh bien non ! Le rôle du formateur est de rendre autonomes ses apprenants sur l’objet de son enseignement. Il doit être capable de s’effacer pour laisser les apprenants tisser une relation personnelle avec le contenu de la formation. Le rôle du formateur, à terme, c’est de disparaître.
Du point de vue de la rhétorique, cela implique un sacré régime, il ne faut pas nécessairement vouloir parler pour combler les silences. La parole du formateur ne doit pas être omniprésente, c’est plutôt celle de l’apprenant qui doit trouver sa place. Et cette place, le formateur doit la laisser. Plutarque dans son ouvrage Vie des hommes illustres nous éclaire sur ce point : « Celui qui sait parler sait aussi quand il faut parler ». Il y a, en plus d’une forme de brièveté, presque d’une frugalité de la parole, un art du timing. Le formateur sent, à certains moments, qu’il doit se taire et laisser ses apprenants se questionner, chercher la solution, débattre entre eux, etc.
Il faut donc parfois couper court ! S’arrêter de parler, net. Afin de laisser penser vos apprenants. La mémorisation est un processus lent, l’apprentissage l’est tout autant. C’est un peu comme lorsque vous lancez un caillou dans l’eau, laissez les ondes se dissiper avant d’enchaîner avec une nouvelle idée. Ne surenchérissez pas.
Cicéron dans son livre Rhétorique à Herennius nous indique quelles parties de notre discours élaguer : « La narration a le mérite de la brièveté, si l’orateur commence où il faut commencer, s’il ne remonte pas trop haut ; s’il ne donne point des détails quand il ne faut que des résultats ; car souvent il suffit d’énoncer un fait sans en développer les circonstances ; s’il s’arrête au moment de dire des choses inutiles ; s’il ne s’égare pas dans des digressions ». En d’autres termes, inutile d’assommer vos apprenants avec un historique qui n’aide pas à comprendre le sujet. Inutile de les barber avec des détails qui ne feraient qu’insister lourdement sur une conclusion ou un résultat que vous avez présenté. Inutile enfin de vous appesantir sur une anecdote qui perdrait son intérêt si elle devait durer.
Remarquez ce dernier point sur la digression ; Cicéron ne nous dit pas qu’elle est mauvaise – elle est le signe d’une parole vivante – mais c’est bien l’égarement de l’orateur qu’il dénonce. Il n’y a rien de pire à écouter qu’une digression qui s’étend à outrance et qui nous fait perdre le sujet initial. Platon dénonçait déjà cette aberration du discours lorsqu’il critiquait les procédés rhétoriques des sophistes à l’agora. Ces derniers usent de “macrologie” (Platon oppose à la macrologie la brachylogie, une forme de sobriété de la parole qui vise à faciliter le dialogue avec un interlocuteur et la compréhension de l’auditoire), un procédé rhétorique qui alourdit le discours inutilement, avec des figures de style et des détails inutiles pour lui donner l’apparence de l’éloquence et de la sagesse. L’assemblée se trouve alors assommée par le discours, sans pouvoir se l’approprier.
Pour que le discours soit véritablement intégré, il faut donc l’alléger et ainsi laisser le temps à vos apprenants pour vous entendre et vous écouter. Et si vos apprenants vous écoutent, ils pourront plus facilement vous comprendre.
Lire les autres articles de la série :
– Episode 1 : Le principe d’affûtage
– Episode 2 : Le principe de spontanéité
– Episode 4 : Le principe de simplicité
La rhétorique du formateur – Episode 3 : Le principe de brièveté (ou de l’art de tailler dans le vif)
29 août, 2022 | Laissez vos commentaires
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