
Il y a quelques semaines, nous évoquions la définition de la rédaction et comment l’IA vient bouleverser cet exercice intellectuel. Aujourd’hui, creusons un peu les dangers inhérents à l’utilisation (abusive) de l’IA pour rédiger.
IA et rédaction : une dépendance préoccupante
Selon Naomi S. Baron, professeure émérite de linguistique à l’American University, les LLM risquent de « saper la motivation à écrire et à réfléchir par soi-même » (même si elle explique aussi que c’est un mouvement long, entamé depuis plusieurs années, avec notamment la création des correcteurs automatiques).
Ainsi, dans son article publié sur The Conversation, elle explique que la dépendance à ces technologies peut affaiblir les compétences rédactionnelles en encourageant une approche passive.
Cette réflexion rejoint celle de nombreux experts qui estiment que déléguer le processus de rédaction à une machine nous fait prendre le risque non seulement de perdre nos compétences techniques en écriture, mais aussi de limiter notre capacité à penser de manière critique.
Entre uniformisation et perte de créativité
Les modèles d’IA, bien qu’efficaces pour générer des textes bien structurés et grammaticalement corrects, tendent à produire des contenus au style uniforme (voire, plus grave, à “halluciner”, une façon plus politiquement correcte de dire “se tromper” ou “inventer”, dans certains cas).
L’IA privilégie souvent des formulations consensuelles et des tournures standards, ce qui peut nuire à la richesse stylistique et à la créativité individuelle. Par exemple, utiliser l’IA pour corriger des premiers jets peut conduire à un certain nivellement du style d’écriture.
Par mimétisme, on pourrait même réduire sa propre créativité linguistique en évitant des constructions plus audacieuses et ainsi freiner sa créativité linguistique voire appauvrir son style et son vocabulaire (privant nos écrits de nuances par la même occasion). Le risque ultime : perdre de façon inexorable son goût pour l’écriture.
Cette uniformisation représente particulièrement un risque pour ceux qui, de base, n’aiment déjà pas rédiger ou qui manquent de confiance en leurs capacités, car ils sont plus susceptibles d’accepter passivement les suggestions de l’IA sans chercher à personnaliser leurs écrits. Pour ces personnes, l’IA peut rapidement devenir une solution de facilité, ce qui peut réduire leur volonté de s’investir dans le processus créatif.
Enfin, un autre souci avec l’IA est qu’elle est percluse de biais (comme tout humain me direz-vous, vu qu’elle tend à l’imiter et s’appuie sur des connaissances humaines) : discriminations, stéréotypes, biais culturels, biais d’auto-renforcement, etc.
Des risques… et des opportunités ?
Il est toutefois réducteur de voir l’IA uniquement comme une menace. Il est possible de contourner ces risques en adoptant une approche active et critique lors de l’utilisation d’une intelligence artificielle pour rédiger. Par exemple, les rédacteurs peuvent utiliser l’IA pour générer des idées ou structurer un premier jet, mais ils doivent ensuite s’impliquer dans la révision et l’enrichissement du contenu pour y apporter leur touche personnelle.
En effet, l’IA peut agir comme un catalyseur de la créativité humaine. En offrant des suggestions, elle peut aider à surmonter le syndrome de la page blanche et inspirer de nouvelles perspectives. Ainsi, l’IA ne remplacerait pas la créativité humaine, elle la compléterait, via une collaboration, comme une partenaire.
Cette dualité entre opportunités et dépendance souligne l’importance de l’éducation dans l’utilisation des outils d’IA. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il est nécessaire d’”apprendre” à exploiter ces technologies afin de ne pas en devenir dépendant. C’est essentiel pour préserver nos capacités rédactionnelles tout en bénéficiant des apports de l’intelligence artificielle.
En définitive, l’impact de l’IA sur nos compétences rédactionnelles dépend largement de la manière dont nous l’utilisons. Une approche passive, consistant à utiliser l’IA comme une béquille pour produire de façon rapide et sans effort des textes, à accepter les suggestions sans réflexion critique, peut entraîner une atrophie progressive de nos compétences et de notre autonomie.
La rédaction demande une pratique régulière, non seulement pour développer des idées de manière claire et logique, mais aussi pour perfectionner le style, la fluidité, et la précision du langage. Moins on s’exerce, plus on risque de perdre en aisance : c’est le risque avec l’utilisation (abusive) de l’IA.
À l’inverse, une utilisation active et réfléchie peut enrichir le processus créatif. Ainsi, il semble impératif d’adopter une posture équilibrée : utiliser l’IA comme un outil de support, tout en restant maîtres du processus créatif et de nos idées.
L’IA peut être un excellent outil d’apprentissage : on peut observer et corriger ses erreurs, affiner ses idées et se concentrer sur l’amélioration de son propre style. Dans ce cas, l’IA agit davantage comme un assistant ou un guide, ce qui peut même stimuler notre progression.
Rédaction et IA : comment procéder pour améliorer ses écrits (et sa réflexion) ?
Pour apprendre activement avec l’IA, l’idée est de s’engager dans une utilisation interactive et réflexive des outils d’IA. Voici quelques pistes concrètes pour utiliser l’IA comme un levier d’apprentissage actif :
– Révision interactive : utilisez l’IA pour réviser vos propres écrits. Rédigez un paragraphe, puis demandez à l’IA de suggérer des améliorations ou de signaler des points faibles. Ensuite, analysez ses suggestions et comparez-les à votre propre approche. Vous restez ainsi le seul maître à bord.
– Brainstorming et génération d’idées : l’IA peut être un excellent compagnon de brainstorming. Posez-lui des questions ouvertes sur un sujet, mais plutôt que de copier ses réponses, utilisez-les comme tremplins pour vos propres idées.
– Exercice de réécriture et reformulation : demandez à l’IA de reformuler un texte que vous avez écrit pour en améliorer le style ou la clarté. Ensuite, essayez de comprendre ce qui a été modifié et pourquoi.
– Comprendre les erreurs et limitations de l’IA : engagez l’IA dans des discussions complexes et notez où elle commet des erreurs. Identifiez ses limites pour renforcer votre esprit critique.
– Création de contenu enrichi : utilisez l’IA pour générer des informations factuelles, puis enrichissez-les avec vos propres perspectives et analyses.
Finalement, l’impact de l’IA sur les compétences rédactionnelles dépend de notre capacité à “former” les utilisateurs, notamment les jeunes générations, pour qu’ils apprennent à utiliser ces outils avec discernement. Cela implique notamment de renforcer leur pensée critique mais aussi d’encourager une approche réflexive et créative de la rédaction.
Pour conclure
L’IA, avec ses promesses de rapidité et de productivité, bouscule notre rapport à la rédaction mais aussi à la créativité, tout du moins à l’effort créatif. Si l’IA, utilisée de manière intelligente, peut, dans certains cas, stimuler la créativité et alléger notre charge cognitive, elle peut aussi devenir un piège insidieux, affaiblissant nos compétences en écriture et notre capacité à penser.
La pensée est un des derniers prés carrés de notre humanité face à la présence toujours plus grande de l’automatisation et de son uniformisation, c’est un espace privilégié pour exprimer notre singularité, notre subjectivité, notre liberté. Cette dimension existentielle ne peut, ne doit pas être remplacée par un outil prédictif, aussi sophistiqué soit-il. Alors, à vos plumes !
Crédit : image réalisée via ChatGPT