On connaît tous cette sensation : le mot que l’on cherche est là, tapi dans l’ombre de notre cerveau, on en aperçoit les contours flous, et pourtant dès qu’on s’approche un peu trop près, il se dérobe. En plus d’être extrêmement agaçant, ce phénomène est également très mystérieux. On sait que l’on sait, on a même identifié ce que l’on cherchait, mais impossible de le dire ou de l’écrire… Généralement le mot revient quelque temps après, sans raison apparente… Explication d’un phénomène curieux.
Quand est-ce que ça arrive ?
Les psychologues et les linguistes se sont penchés sur la question complexe du mot au bout de la langue, que les Anglo-saxons appellent « tip-off-the-tongue effect », ou TOT.
Ils se sont notamment rendu compte qu’il existait des facteurs qui favorisent l’apparition du TOT :
– La fréquence et l’âge d’acquisition du mot : plus le mot est fréquemment utilisé, moins il y a de chances qu’il se retrouve sur le bout de la langue.
– Le bilinguisme
– Le type de questions posées : bizarrement, les questions avec beaucoup de détails favorisent l’apparition du TOT.
– L’anxiété et les émotions
– L’âge
Quelques expériences
Les chercheurs considèrent généralement qu’un TOT survient en cas de défaut de transmission entre les zones du cerveau chargées de l’idée du mot et celles en capacité d’en retrouver la forme (le signifié et le signifiant, pour ceux qui savent que Saussure est autre chose qu’un mot prononcé avec un zozotement).
Deux psychologues américains, Lori E. James de l’université de Californie de Los Angeles et Deborah M. Burke du College Pomona (1) ont ainsi réalisé une expérience pour comprendre comment le cerveau pouvait surmonter cette difficulté.
Chez les Anglo-saxons, le mot “abdicate” (abdiquer en français) est un de ces mots qui restent souvent sur le bout de la langue. Les chercheurs ont ainsi demandé à trois groupes de volontaires : “quel terme signifie renoncer au trône ?” :
• Le premier groupe ne bénéficiait d’aucun indice. Les personnes trouvèrent avec plus ou moins de succès la réponse.
• Au deuxième groupe, on a présenté en plus de la question une liste de mots ressemblant au mot recherché, notamment au niveau du son, comme abstrait ; le nombre de bonnes réponses a augmenté.
• Enfin, le troisième devait lire des mots sans aucune relation avec la réponse. Les personnes éprouvèrent ainsi plus de mal à trouver la bonne réponse.
On peut en conclure qu’énoncer des mots proches, par leur forme, du terme manquant, permet de diminuer l’intensité du phénomène en réactivant le réseau des connexions cérébrales. C’est pourquoi vous êtes susceptible de retrouver le mot tant recherché juste en regardant un film ou en lisant un livre, car un mot ressemblant y est apparu.
Qu’est-ce qu’on peut faire ?
Votre cerveau vous joue des tours et a priori, vous ne pouvez pas y faire grand-chose. En cas de blocage profond, mieux vaut laisser tomber et ne pas s’énerver, le mot reviendra de lui-même, pour peu que vous stimuliez votre cerveau un minimum.
En revanche, vous pouvez toujours identifier ces mots farceurs, et tenter de les associer à autre chose, pour récréer une connexion. Et enrichissez votre vocabulaire de tous les jours : on oublie plus souvent les termes peu usités !
(1) James, Lori & Burke, Deborah. (2000). Phonological Priming Effects on Word Retrieval and Tip-of-the-Tongue Experiences in Young and Older Adults. Journal of experimental psychology. Learning, memory, and cognition. 26. 1378-91. 10.1037/0278-7393.26.6.1378.
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